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Un exemple d’aide à l’innovation ANVAR.

par Bernard Zimmern
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Comment un brave homme est entraîné par l’ANVAR à investir toutes ses économies dans un projet dans lequel un investisseur avisé n’aurait pas mis un sou. Et comment, après son dépôt de bilan, l’ANVAR n’hésite pas à demander aux tribunaux le remboursement de l’avance remboursable en cas de succès.

Le 24 septembre 2008

I. Un brave homme, avec une idée, se laisse prendre au piège ANVAR.

M.C., la quarantaine, est consultant en hygiène et qualité agroalimentaire, après avoir travaillé comme ingénieur dans une entreprise de produits alimentaires pendant 15 ans. Redécouvrant une boisson traditionnelle à base de sucre fermenté et de fruits macérés très répandue notamment au Moyen-Orient, il rêve de développer de manière industrielle un produit similaire. Mais il réalise que ses économies, quelques centaines de milliers d’euros, sont insuffisantes pour un tel projet.

Au cours de l’été 2002, il rencontre un chargé d’affaires de l’Anvar. Le courant passe, et l’entrevue est suivie, en septembre puis en novembre d’une promesse téléphonique d’une aide de 100.000 euros. L’éventualité de passer à la vitesse supérieure, avec une aide plus conséquente, l’aide régionale à l’industrialisation (ARI) est abordée au cours des entretiens et restera tout au cours du projet comme l’arrivée en terre promise. Mais l’ANVAR refuse de prêter à un individu et exige qu’une société soit constituée pour bénéficier de ses avances. M.C. créé donc sa société, la SARL K…, en janvier 2003.

Sur les indications verbales de M. C., un dossier est constitué par les experts de l’ANVAR accompagné d’un « business plan ». Mais dès le départ, ce Business Plan va être assorti d’une ambiguïté redoutable.

Ce business plan est chiffré sur 4 colonnes correspondant chacune à une année. La première colonne pour l’amorçage (la mise au point et la validation du produit) est entièrement vide ; elle n’intéresse visiblement personne à l’ANVAR et ne fait même pas l’objet d’un cahier des charges alors que c’est cette phase qui va faire l’objet du contrat de l’ANVAR avec l’inventeur.

Les 3 colonnes suivantes couvrent la deuxième phase, celle du passage à la production industrielle où les montants financiers à mettre en oeuvre sont les plus importants mais ils ne donneront lieu à aucun engagement écrit, seulement de vagues promesses verbales. Elles présentent les principaux chiffres du compte de résultat pour les 3 années suivantes, celles qui devraient être financées par l’ARI. Les agents de l’ANVAR estiment à 720.000 euros le chiffre d’affaires de la première année d’exploitation, 3.629.000 et 1.492.000 les chiffres d’affaires et bénéfices nets des années 2 et 3. Ces chiffres sont revus – à la baisse – par un consultant extérieur, « expert projet spécialiste de boissons innovantes » et ramenés à 240.000, 720.000 et 1.440.000 pour le chiffre d’affaires, – 128.000 (perte), 71.000 et 323.000 pour le bénéfice net.

Sur quelles bases les experts de l’ANVAR et le consultant extérieur ont-ils établi ces chiffres ?

Semble-t-il au doigt mouillé, même très mouillé. Pour l’année dite d’amorçage, la dépense est évaluée à 207.775 euros et correspond en gros au double de ce que M.C. se sent capable d’investir sur ses fonds. Il est fait mention d’un plan de financement plus vaste de 861.917 qui devrait venir d’autres sources de financement travaillant avec l’ANVAR en aval: l’ARITT Centre (organisme public régional d’aide à l’innovation), le Conseil Régional du Centre, des Pays Loire et Forêt, des structures consulaires…

Ce qui est absolument étonnant à ce stade, c’est que ce projet ne comporte aucun des attributs qu’un investisseur en innovation recherche : des brevets, un savoir faire, la nouveauté (le produit existe depuis longtemps), un avantage de compétition quelconque lui permettant en cas de succès de ne pas être simplement copié par des entreprises existantes de l’alimentaire.

C’est à la rigueur un produit qu’une firme déjà implantée dans les boissons pourrait imaginer d’ajouter à sa collection de boissons mais la société K…, créée par M.C., débute et tout consultant sait que pour créer une société autour d’un nouveau produit, il faut que ce produit ait des avantages techniques ou commerciaux tels, et une protection contre la concurrence telle que la firme puisse absorber les coûts de toutes les erreurs qui sont forcément commises au début d’une société et le coût de tous les investissements en bâtiments, machines, réseaux de vente que la firme naissante doit rassembler et que ses concurrents déjà implantés n’ont plus à supporter.

En d’autres termes, non seulement les chiffres du Business Plan sont « bidons » mais ils sont de plus irréalisables avec le produit proposé.

II. L’ANVAR du décor.

C’est pourtant sur ce Business Plan que va se réunir la commission régionale d’attribution des aides à l’innovation qui rassemble, entre autres, autour du délégué général de l’ANVAR, seul décisionnaire final de l’aide, les représentants du conseil régional, de la Drire, de la Banque de France, de la trésorerie générale.

Cet aréopage décide, après délibération, d’attribuer une aide de 100.000 euros payable en 2 versements de 60.000 et 40.000. Aucune disposition n’est prise pour ce qui constitue pourtant l’essentiel du Business Plan : l’investissement de la seconde phase.

A ce stade, on ne peut que s’interroger sur l’absurde de la situation : quel est le sens de réunir de telles notabilités pour décider :
• d’un dossier qui est aussi bâti sur du sable,
• où l’on voit mal ce que ces notabilités peuvent amener
• pour un investissement aussi minuscule. Les organismes de capital-risque ne commencent à réunir leurs comités d’investissement que pour des montants de l’ordre de 2 millions ; comment l’Etat peut-il penser à jamais mener des opérations qui ne soient pas un gâchis de l’argent du contribuable si, pour des montants vingt fois plus faibles, il faut établir un dossier, faire intervenir un expert qui n’est pas gratuit, prendre leur temps de notabilités qui ont bien d’autres charges.

Gageons que pour investir 100.000 euros, l’Etat a bien dû en dépenser presque autant en seuls frais administratifs. Et au bout de ce projet, il n’y a aucune certitude que le projet débouche car sa rentabilité financière n’est pas démontrée, le plus difficile reste à faire.

A quoi sert ce décor?

La réponse apparaît très vite.

Encouragé par les promesses et les aides, M.C. investit dans l’affaire son temps, et son argent (près de 190.000 euros) et celui des ses proches (40.000 euros). Le produit trouve des clients sur les foires et des contrats avec des distributeurs locaux. De nouvelles idées commerciales émergent pendant la phase de lancement (ajout d’arômes naturel, développement de la distribution en tireuse sur les foires, développement d’une station mobile de distribution…). L’Anvar et le conseil régional se félicitent de ce projet qui brille, le font passer à la radio et dans la presse.
Le 25 janvier 2005, le projet est même retenu par les Masters 2005 de la création d’entreprise du Sénat, et M.C. se voit remettre au Sénat, dans une cérémonie organisée avec tous les médias présents, un diplôme cosigné par les ministres de l’époque.

Les organismes et pouvoirs publics s’offrent ainsi à bon compte une publicité à forte valeur ajoutée qui leur permet de s’afficher en hérauts de l’innovation.

III. Les réalités industrielles réapparaissent.

Mais le produit est-il un succès ? Le Business Plan a été établi à notre connaissance sans qu’aient été précisées ses conditions de réussite. Certes, M.C. peut montrer une constance dans la qualité du produit qu’il fabrique artisanalement, une acceptation par les autorités sanitaires et des durées de conservation satisfaisantes pour permettre une distribution, un bon accueil du public et même de distributeurs. Mais le talon d’Achille de tout projet, sa rentabilité financière, n’est pas prouvé d’autant qu’il ne s’agit pas de vérifier la rentabilité d’un produit mais bien d’une société bâtie autour d’un produit.

Or, lorsque M. C. est utilisé par l’ANVAR et le Sénat pour faire la publicité de leurs actions, le projet n’est pas encore viable, puisque le chiffre d’affaires est seulement de 2000 euros pour l’année 2003 et de 10.000 euros pour les trois premiers trimestres de l’année 2004.

Nos plus hautes autorités se targuent de succès qui n’existent pas encore.

Plus grave, lorsqu’un Business Angel investit dans un projet comme le projet M.C. (dont le montant correspond bien aux montants dont ils sont coutumiers même si aucun n’aurait investi pour les raisons précédemment évoquées), il suit le projet sinon au jour le jour, au moins semaine par semaine, injecte des idées, utilise ses réseaux , prépare la phase de financement d’après.

Avec l’ANVAR, rien de tel. M.C. ne verra aucun des membres de l’ANVAR qui ont étudié son dossier, ni l’expert qui avait revu le Business Plan pendant l’année et demie que durera finalement la phase dite d’amorçage. Tout au plus un coup de téléphone d’un chargé d’affaire qui tous les deux ou trois mois s’enquiert du projet et s’assure que M.C. est satisfait de sa progression.

Et ceci va préparer la déchéance finale.

IV. Le dépôt de bilan.

Lorsque les fonds de la phase d’amorçage ou de vérification commencent à s’amenuiser et que cette phase se rapproche de la fin, tout Business Angel se concentre sur la réunion des fonds qui vont permettre de passer de la phase exploratoire à la phase semi-industrielle, soit en préparant un second tour de table avec des Business Angels, soit si le projet est assez avancé en préparant l’entrée au capital du capital-risque.

Les chargés d’étude de l’ANVAR, comme M.C. lui-même, étaient bien conscients qu’au delà de la phase exploratoire, il fallait passer à la phase semi-industrielle et depuis le début, laissaient entendre à M.C. que le relais serait assuré par les instances régionales telles que l’ARI.

Lorsqu’est arrivé la fin du contrat de première phase, pas d’argent mais des promesses verbales auxquelles M. C., tout à son projet, a le tort de croire.

L’inventeur s’endette donc, achète des machines, un chromatographe : il produit et vend, embauche deux personnes en CDI. Mais les coûts de production restent supérieurs au coût de revient et il ne peut passer au stade supérieur de production, c’est à dire l’industrialisation de la chaîne de production et son corollaire, un réseau de distribution permettant d’atteindre les quantités où le prix de revient devient acceptable.

Il tente par lui-même en dernière limite d’intéresser une affaire d’eau minérale à la reprise de son développement mais cette affaire dépose elle aussi son bilan.

Ce que M.C. ne sait pas, c’est que le président de l’ANVAR et son secrétaire général ont laissé se creuser un énorme trou comptable de 242 millions à l’ANVAR, que l’Agence qui dépend en partie pour ses prêts des remboursements des prêts antérieurs est incapable de relier les chèques qui rentrent aux engagements de remboursement correspondants et que le scandale a atteint un niveau tel que l’agence va être absorbée par Oséo.

Tous les programmes sont gelés, l’ARI disparaît purement et simplement, les contacts avec l’agence sont de plus en plus éloignés. Le directeur d’alors le reconnaît. Le témoignage de la chargée d’affaire est éloquent : « Nous avons peut-être eu tort d’encourager Monsieur M. dans son projet, mais pour ma part, j’étais très confiante en son projet et dépitée de voir que les différentes institutions n’ont pas poursuivi notre aide financière. »

Arrive ce qui devait arriver, la société doit déposer le bilan fin 2005, après avoir attendu plus d’un an l’hypothétique versement de l’aide de l’Agence.

V. L’action en comblement de passif.

Non seulement M.C. a dû déposer son bilan, mais le Tribunal de Commerce d’Orléans convertit la cessation des paiements en liquidation judiciaire, ce qui conduit à réclamer à M.C. de rembourser le passif, dont l’avance remboursable en cas de succès de l’ANVAR ! Qu’importe que la société ait échoué. Sur la foi des rapports de M.C., l’Anvar peut déclarer que le projet est un succès.

Le Procureur de la République demande donc le remboursement des dettes, dont la créance de l’ANVAR, en intentant une action en comblement de passif. Cette procédure est justifiée quand le gérant est supposé avoir commis des fautes, des imprudences ou des négligences dans la gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de l’entreprise et a omis de déclarer cette insuffisance dans un délai court, de l’ordre de quelques semaines.

Dans le cas présent, le Procureur constate que la trésorerie de la SARL est devenue négative un an avant le dépôt de bilan, cette année où M.C. a attendu le versement des aides de l’ANVAR qui ne sont jamais arrivées..
Les conséquences pour M.C. sont énormes car non seulement il est menacé de se voir infliger le remboursement d’une dette dont il n’a pas le premier sou car il a déjà dépensé toutes ses économies dans l’affaire K… mais une condamnation lui interdirait de gérer la société de conseil qui pourrait lui permettre de se refaire.

Le jugement, après l’intervention pour défendre M.C. de l’avocat de l’iFRAP, va tout de même rendre justice à notre inventeur, en statuant que « le Tribunal ne pourra retenir une déclaration tardive de la cessation des paiements de la SARL K… ».

Le tribunal reconnaît en effet la responsabilité de l’organisme public dans ses attendus : « Monsieur M. prouve par des attestations d’anciens agents d’OSEO/ANVAR, qu’il était en attente de nouveaux financements de cet organisme, et que le fait d’un changement de structure a amené en définitive après des mois de tergiversations, une décision définitive négative sur ce nouvel apport alors qu’un accueil en principe favorable lui avait été fait sur sa demande initiale ».

VI. Les leçons de l’affaire.

Les pertes financières de ce projets voué à l’échec dès le départ, sont énormes pour M.C. qui y voit disparaître toutes ses économies ainsi que pour ses créanciers. Il est clair que sans l’appât des 100.000 euros de départ et sans promesses du million de la part de l’ANVAR, notre inventeur ne se serait jamais embarqué dans ce projet. Il aurait été chercher des Business Angels qui lui auraient fermé la porte en raison de la quasi-certitude d’échec.

On peut même se demander quel sérieux il faut accorder rétrospectivement aux promesses du million de l’ARI et autres organes associés à l’ANVAR, car, même si des circonstances particulières (l’absorption de l’ANVAR par Oéso) vont fournir l’excuse à ce que la phase 2 de financement ne suive pas, on peut se demander si cette phase n’ a pas été pour la direction de l’ANVAR plus qu’un attrape-mouche.

Si l’ANVAR avait vraiment cru au projet surtout après les résultats obtenus par M.C., il aurait au moins été possible à l’ANVAR de sauvegarder l’acquis en proposant à des entreprises de boissons de le reprendre. Mais même cette action simple n’est pas tentée par l’ANVAR. M.C. de lui-même ira offrir son produit à une entreprise d’eau minérale mais, bien que celle-ci ait manifesté un intérêt, elle déposera elle-même son bilan avant d’avoir pu reprendre le K’fir.

En l’espèce, il apparaît ainsi clairement que le dispositif d’Etat s’est servi de la crédulité d’un brave homme pour alimenter sa machine publicitaire, celle qui doit faire croire que l’ANVAR soutient l’innovation ; et 100.000 euros n’est pas trop cher payer pour ajouter un produit de grande consommation au catalogue, même si, derrière, les chances qu’un organisme sérieux s’intéresse à l’industrialisation de ce produit n’ont probablement jamais existé.

Il ne faut pas faire confiance à des fonctionnaires qui n’ont aucun enjeu personnel dans les innovations qu’ils financent et dont le seul enjeu devient de ce fait de faire croire que leur organisation est indispensable, pour obtenir du pouvoir politique les crédits qui leur permettent de survivre et de se développer. Si un audit sérieux était entrepris des sommes investies par l’ANVAR et si l’on rapprochait les mirages affichés chaque année par l’ANVAR pour sa publicité de ce qu’ils sont devenus chaque année, ce sont des dizaines d’histoire similaires qui seraient découvertes et nos politiques comprendraient enfin pourquoi la France est le seul pays à avoir un ANVAR, le seul pays où les politiciens peuvent encore croire que l’innovation peut être pilotée par des fonctionnaires, le seul pays où non seulement on gâche ainsi de considérables crédits publics et où on détourne nos maigres ressources financières des programmes qui ont une réelle chance de réussite mais ne se prêtent pas au spectaculaire.

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