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Pourquoi les chefs d’entreprise français, dans le domaine industriel, sont-ils généralement de piètres stratèges ?

par Claude Sicard
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Depuis l’ouverture des économies à la mondialisation, on a vu l’industrie française s’écrouler. On est passé de 5.719.000 emplois en 1980 à un peu moins de 3 millions actuellement, et l’industrie dans notre pays ne contribue plus que pour 11% seulement (industrie hors BTP) à la formation du PIB, alors que dans le cas de l’Allemagne, par exemple, ce secteur d’activité représente 24% du PIB. Et dans le cas de l’Italie il s’agit de 20%. De tous les pays européens, hormis la Grèce, la France est le pays où le secteur industriel contribue le moins à présent à la formation du PIB : en ce sens la France doit être considérée comme un pays sinistré.

Ce déclin trop rapide de notre secteur industriel est, on ne le dit jamais assez, la cause fondamentale des déséquilibres profonds que connaît l’économie de notre pays : un chômage très élevé qu’il est devenu impossible de réduire, un déficit permanent de la balance du commerce extérieur, des rentrées fiscales insuffisantes, un endettement très élevé du pays, et l’impossibilité de fournir du travail à tous les immigrés qui chaque année affluent, massivement, d’une manière légale ou illégale, dans notre pays.

Curieusement, on ne s’est pas interrogé beaucoup sur les raisons pour lesquelles un nombre considérable de nos entreprises du secteur industriel ne se sont pas trouvées en mesure de développer des stratégies qui leur auraient permis de mieux faire face à la mondialisation. Dans un très grand nombre de secteurs industriels nos chefs d’entreprise ont échoué à trouver la stratégie qui leur aurait permis de croître et prospérer. La liste des secteurs qui ont été sinistrés est impressionnante, et encore ne compte-t-on pas dans ce qui reste de l’industrie, la pénétration étrangère, c’est-à-dire les entreprises passées sous contrôle étranger. Dans la catégorie des entreprises de 250 à 499 personnes, par exemple, le SESSI (service des études et des statistiques nationales) indiquait que la pénétration étrangère était, en 2005, de 51,7% ! Et dans la catégorie des entreprises de 100 à 249 personnes, la pénétration se montait à 33,2%. Autant de firmes françaises, là aussi, qui avaient plus ou moins échoué à bâtir des stratégies gagnantes, et qui se sont vendues à des firmes étrangères.

Nous voudrions prendre, par illustrer notre propos, trois exemples très parlants : celui du machinisme agricole, celui de la machine-outil, et celui de l’automobile.

Dans le domaine du machinisme agricole on a affaire à un cas stupéfiant : la France est le plus grand pays agricole de l’UE et pourtant, les constructeurs français dans ce domaine d’activité ont tous échoué : ils se sont fait absorber les uns après les autres par des firmes étrangères. Dans le machinisme agricole, on sait que trois catégories de matériels, les tracteurs, les moissonneuses batteuses et les presses fourrages, représentent à elles seules 75% du chiffre d’affaires de la branche. Or, on voit que le constructeur de tracteurs Renault a été repris par Claas en 2008, que l’entreprise Braud qui était notre grand fabricant de moissonneuses batteuses – des moissonneuses de couleur bleue que l’on voyait un peu partout dans nos campagnes l’été – a été rachetée par Fiat pour devenir New-Holland, et que l’entreprise Rivière Casalis, un gros fabricant de presses fourrages qui étaient de très bonne qualité, entreprise qui avait été créée en 1845 à Orléans, a été absorbée par le Hollandais Vicon. Sa grosse usine de Fleury-les-Aubrais qui employait 1.200 personnes a été rasée en 2010 pour laisser la place à une zone commerciale. Comment se fait-il donc que des entreprises qui disposaient en Europe du plus vaste marché intérieur, aient finalement toutes échoué ? Aujourd’hui, l’industrie française du machinisme agricole est seulement numéro 3 en Europe, derrière l’Allemagne et l’Italie, et tous les fabricants sont des étrangers, y compris Kuhn en Alsace qui est une filiale du Suisse Bucher Industries. Le Commissariat au Plan avait chargé la régie Renault de sauver en France la carte du machinisme agricole : Renault s’efforça de le faire pendant des années, mais finalement échoua, le président de la branche, Daniel Dreyfus (le frère du président du groupe), n’ayant pas su trouver la bonne stratégie pour accomplir cette mission, malgré des moyens importants. Les grands fabricants européens sont aujourd’hui allemands et italiens.

Dans le domaine de la machine-outil, les constructeurs français ont, là aussi, totalement échoué : ils n’existent pratiquement plus aujourd’hui. Il y eut deux erreurs graves, semble-t-il, qui ont ruiné la réputation des fabricants français : l’absence de réseaux d’après vente dans les pays étrangers, et des machines trop souvent pas totalement au point exportées sur des marchés extérieurs, la manie des constructeurs français étant de modifier en permanence leurs machines pour les améliorer et d’exporter ainsi des machines pas tout à fait au point, avant qu’elles n’aient fait vraiment leurs preuves sur le marché intérieur. Quand on interrogeait des importateurs de machines françaises à l’étranger, ceux-ci disaient tous, unanimement : « Plus jamais de machines françaises ! ». Aujourd’hui, en Europe, les fabricants italiens sont numéro deux, après les constructeurs allemands. Et les Français ont disparu.

Troisième exemple : celui de l’industrie automobile. En 1950, les Japonais ne fabriquaient pas de voitures automobiles. Toyota qui était un fabriquant de machines à tisser mécaniques avait commencé à s’intéresser à l’automobile en 1933 mais sans grand succès, puis il y eut la guerre. Dans le cours des années 1950, Toyota entreprit de reprendre ses activités dans l’automobile : les dirigeants se posèrent la question toute simple de savoir quel était le marché le plus important au monde : les États-Unis. Ils décidèrent donc de fabriquer des véhicules parfaitement adaptés à ce marché : ils copièrent les modèles américains et ils les imposèrent à leur marché intérieur. Ils s’implantèrent très vite sur le marché américain en créant sur place des usines fonctionnant avec les process japonais, des procédés de production très efficaces comme on le sait. Ils avaient compris que l’on ne peut pas prendre des positions importantes sur un si grand marché sans avoir ses propres usines sur place et sans faire des modèles parfaitement adaptés à la clientèle du pays. Ce fut un succès, et aujourd’hui, Toyota est le numéro un mondial. Renault, entre temps, a certes progressé, mais très laborieusement, n’ayant pas eu la chance d’avoir jusqu’à l’arrivée de Louis Schweitzer en 1992 des présidents qui soient réellement de bons stratèges. Louis Schweitzer comprit, lui, l’importance capitale, pour l’avenir, des marchés asiatiques et il eut l’immense mérite de parvenir à s’associer solidement au japonais Nissan. Aujourd’hui, dans le classement mondial des constructeurs, Toyota est bien numéro 1, et le grand concurrent de Renault, l’allemand Volkswagen, est, lui, numéro 2. Renault, seul, vient en dixième position, mais l’ensemble Renault-Nissan se positionne en numéro 5. Il est impossible, ici, de refaire toute l’histoire de Renault depuis la dernière guerre, mais à titre d’illustration d’erreurs monumentales de stratégie faites par ce groupe, nous rappellerons la malheureuse aventure américaine de cette firme aux USA. En 1957 Renault, on s’en souvient, entreprit d’exporter aux États Unis ses Dauphine fabriquées à Flins. Ce fut un échec cuisant, ce modèle n’étant nullement adapté aux exigences du marché américain et, de surcroît, le service après-vente étant totalement défectueux. On comparera cette tentative française de conquérir le marché des petites voitures aux États-Unis en se fondant sur un véhicule spécifiquement conçu pour le marché français – une conquête voulant se faire, de surcroît, avec des véhicules importés et non pas fabriqués sur place – avec l’approche intelligente qu’eurent les Japonais pour réussir sur ce marché. Deux approches, on le voit, totalement différentes, avec un succès éclatant d’un coté et un échec affligeant de l’autre. Plus tard, Renault en 1970, tirant les leçons de son précèdent échec, voulut s’implanter sérieusement sur le marché américain en prenant une participation importante chez American Motors (AMC). Un premier modèle fut lancé avec succès, l’Alliance, puis il y en eut deux autres. L’aventure commençait à bien fonctionner, mais en 1987 le nouveau président de Renault, Georges Besse, soucieux de faire des économies, décida de se retirer d’AMC, cédant ses parts à Chrysler ! Là aussi, ce fut une grave erreur de stratégie qui fut commise, Renault se privant définitivement du marché américain. Un grave handicap donc, dorénavant, pour cette firme !

On doit donc s’interroger sur les raisons de tous ces échecs, et la liste est malheureusement fort longue. Dans le cas de Renault, par exemple, il faudrait rajouter son échec dans le domaine des véhicules industriels et de la machine-outil. Renault avait racheté la firme Berliet que Paul Berliet avait coulée en jouant la carte Afrique plutôt que la carte Europe, créant ainsi la Saviem : ce fut un échec et la Saviem a finalement été reprise par Volvo. Et dans le domaine de la machine-outil, la RMO qui était la division machine outil de Renault a été cédée à Comau (groupe Fiat). Personne jusqu’ici ne semble avoir cherché à expliquer les raisons de tous ces échecs, et pourtant il y a là matière à réflexion.

Pour lire la suite de l’article :
Partie 2 : Pourquoi les chefs d’entreprise français, dans le domaine industriel,
sont-ils généralement de piètres stratèges ?

 

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1 commenter

Picsou 75 octobre 9, 2016 - 6:38 pm

et la société…
J'ajouterai aussi la société française comme facteur supplémentaire. La majorité de nos compatriotes détestent l'industrie. C'est comme les centrales nucléaires : on voudrait avoir le courant, mais que la centrale soit chez les autres, loin…. Si vous annoncez que vous travaillez dans l'industrie, on vous regarde différemment, voire on vous plaint… Des années de discours socialo-communistes ont passés par là…
Rappelez vous Mauroy : l'entreprise était définie comme "lieu d'aliénation maximum".

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