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Pourquoi est-il urgent de s’inquiéter du solde négatif de notre balance commerciale ?

par Claude Sicard
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Le solde de notre balance commerciale depuis un demi-siècle est négatif. Il s’agit, nous allons le voir, d’un problème particulièrement préoccupant : mais personne ne parait vraiment s’en inquiéter. Notre économie serait-elle, petit à petit, devenue apathique ? Et pourquoi ? Nous allons voir ce que révèle, si l’on y réfléchit bien, un solde indéfiniment déficitaire de la balance commerciale d’un pays.

Il s’agit en effet de comprendre les raisons véritables pour lesquelles le solde de la balance commerciale d’un pays stagne, ce qui est le cas de la France, ou bien parvient à se réduire, ou, au contraire, va en s’aggravant. On fera évidemment abstraction des simples oscillations à caractère purement conjoncturel qui se produisent inévitablement d’une année sur l’autre.

Nous prendrons l’exemple de plusieurs pays européens qui ont pu redresser durablement leur balance commerciale, face à un pays comme la France dont le solde de la balance commerciale reste négatif.

Solde de la balance commerciale (en % du PIB)
France Allemagne Suisse Danemark Pays Bas
1970 -0,54 -1,48 -0,09 -2,83 -0,16
1980 -1,54 -1,65 -2,09 -0,45 +1,01
2000 +1,33 +0,27 +5,61 +6,71 +6,58
2010 -1,29 +5,20 +10,68 +6,95 +8,09
2018 -0,77 +6,77 +12,08 +5,34 +10,69

Et l’on pourrait rajouter à ces exemples celui de la Suède qui est parvenue à redresser, elle aussi, la balance de son commerce extérieur, passant d’un déficit de 0,98 % du PIB en 1980 à un excédent devenu structurel : 3,69 % en 2017, et 3,15 % en 2018.

Ce tableau ne manque pas d’étonner, puisque notre pays n’a pas connu la même dynamique. Il s’est produit, dans ces pays qui sont parvenus à redresser leur commerce extérieur, des évolutions structurelles qui méritent d’être analysées, alors que rien de tel n’est advenu dans le cas français : si notre pays avait été dynamique, cela se serait vu dans les résultats de sa balance commerciale. Lorsque, en effet, les exportations d’un pays se développent et que l’on voit sa balance commerciale se redresser, ce ne sont pas toutes les branches d’activité qui soudain se sont réveillées, mais une ou deux, voire, s’il s’agit d’un grand pays, trois, ou tout au plus quatre, qui ont crû et se sont renforcées : ce sont, soit des secteurs anciens qui se sont restructurés, soit des secteurs nouveaux, des secteurs qui, dans un cas comme dans l’autre ont su trouver une bonne stratégie pour croître et être compétitifs sur les marchés extérieurs. On nous dit trop souvent que si notre balance commerciale est négative c’est parce que nous n’avons pas de pétrole : certes, mais l’Allemagne, le Danemark et la Suisse n’en ont pas davantage que nous. Ce qui est préoccupant, c’est que, dans notre cas, ce manque de pétrole n’est compensé par rien. Certes, pourra-t-on se consoler en constatant que notre déficit du commerce extérieur ne va pas en s’aggravant.

Nous allons donc examiner ici, très succinctement, quels sont les secteurs d’activité qui dans les cas que nous étudions ont permis à ces pays de redresser la barre de leur commerce extérieur, des secteurs dynamiques que le gouvernement, aux Pays-Bas, dans ses programmes d’intervention dans l’Economie, a appelés des « top sectors ». Mais, certes, des analyses bien plus poussées seraient nécessaires.

Le cas de l’Allemagne :

L’Allemagne a quatre grands secteurs d’activité industrielle, des secteurs très vigoureux, quatre « top sectors » donc qui ont particulièrement animé son économie ces vingt dernières années :

En milliards d’euros : CA Exportations
Construction automobile 524 220
Machine-outil 204 178
Industrie chimique 201 160
Agro-alimentaire 168 72

L’industrie automobile allemande est extrêmement puissante : 6 millions de véhicules produits par an, avec 828.000 personnes employées dans ce secteur. Plus de 60 % de la production de voitures est exportée. Cette industrie qui représente 4,5 % du PIB du pays est très innovante, avec des équipementiers d’envergure mondiale : l’Audi A8, par exemple, a une capacité de conduite autonome de niveau 3. L’Allemagne représente 40 % de la production automobile européenne. Certes, il va y avoir, maintenant, avec la révolution qui attend ce secteur du fait du passage à l’électrique, des bouleversements considérables. L’économie du pays commence d’ailleurs à en être affectée, et déjà en 2019 la production allemande d’automobiles a-t-elle commencé à baisser : le marché européen est maintenant dans sa phase de maturité, et la Chine est devenue un très gros producteur de voitures.

Autre secteur très puissant aussi : la machine-outil. L’Allemagne était jusqu’ici le premier fabricant mondial de machines-outils, un secteur d’activité qui a un taux d’exportation de 87 %, et qui a beaucoup exporté sur la Chine qui, en plein développement, avait besoin de s’équiper, ce qu’elle a fait en recourant beaucoup aux Allemands.

Autre secteur encore : la chimie qui est un secteur d’activité traditionnellement très puissant en Allemagne, et où il s’emploie 480.000 personnes encore aujourd’hui. Les exportations allemandes de produits chimiques sont passées de 96 milliards d’euros en 2004 à 160 milliards en 2016.

Quant à l’industrie agroalimentaire, il s’agit d’un secteur d’activité qui a fait dans ce pays une croissance extrêmement rapide ces vingt dernières années, parvenant à se hisser maintenant au niveau de la France, mais en étant à la fois plus compétitif et plus innovant. L’industrie agroalimentaire allemande emploie 560.000 personnes, et elle continue à croître, en sorte que les exportations allemandes, dans l’agro-alimentaire, sont supérieures à celles la France. L’Allemagne est ainsi devenue, au plan mondial, le troisième exportateur après les Etats-Unis et les Pays-Bas : ses exportations sont près du double de celles de la France, avec 72 milliards d’euros dans un cas et 44 milliards dans l’autre.

Le cas de la Suisse

Dans le cas de la Suisse, c’est l’industrie pharmaceutique qui joue un rôle essentiel dans la dynamique de croissance du pays et de ses exportations : elle est le moteur de l’économie, avec des firmes comme Novartis, Roche, Merck et Janssen-Cilag… Ce secteur d’activité représente 38 % des exportations, alors que le secteur de l’horlogerie n’intervient que pour 9 % seulement. Sa part dans le PIB est passée de 1% en 1980 à 4,5 % alors qu’en France il s’agit à peine de 0,8 %. En 2017, les 24 sociétés pharmaceutiques suisses ont investi en Suisse 7 milliards de francs suisses dans la R&D, et, nous disent-elles, au plan mondial la somme de 96 milliards de francs suisses.

Le cas du Danemark

Au Danemark, il y a deux branches d’activité qui sont des « top sectors » : l’industrie pharmaceutique, avec Novo’Nordisk, Lundbeck et Leo-Pharma, et l’agriculture où deux secteurs ont fait une percée foudroyante : l’agriculture biologique et la production porcine.

L’industrie pharmaceutique s’est développée énormément dans ce pays : la production a été multipliée par quatre entre 1999 et 2015, et les acteurs du secteur indiquaient qu’elle doublerait d‘ici à 2020. Ce secteur d’activité représente maintenant 4 % du PIB, et c’est le premier poste d’exportation du pays (médicaments emballés). Il s’agit de 13 % des exportations danoises.

Dans le domaine de l’agriculture, le pays s’est spécialisé dans l’agriculture biologique et dans la production de porcs. En agriculture biologique les surfaces ont doublé depuis 2007 et le pays s’est donné pour objectif de convertir toute son agriculture à ces types de production, tant pour ce qui est des cultures que des activités d’élevage (viandes, lait, œufs…) Ses principaux débouchés sont l’Allemagne et la Suède. Pour ce qui est de la production porcine, le Danemark s’est fait une réputation de producteur de très grande qualité, ayant joué sur la génétique et procédé à une restructuration complète de ses élevages. La réputation de ce pays dans le domaine de la génétique en matière de production porcine est mondiale et l’on voit à présent le spécialiste de génétique porcine Dan Bred venir s’installer en Bretagne, dans les Côtes du Nord, pour apporter ses techniques aux éleveurs bretons. Le nombre de fermes d’élevage est passé de 30.000 en 1990 à 5.800 en 2008. Les porcs danois sont réputés pour la qualité de leur viande, leurs performances (vitesse de croissance, productivité des truies, et résistance aux maladies). Aussi, 90 % de la production porcine est-elle exportée chaque année. Phénomène étonnant pour un pays de cette dimension : le Danemark est un des plus importants exportateurs de porcs du monde, avec 140 pays clients.

Le cas des Pays-Bas

Le « top sector » aux Pays-Bas est, manifestement l’agro-alimentaire. La Hollande est devenue, après les Etats-Unis, le second exportateur mondial de produits agricoles ou issus des industries agro-alimentaires, la France se trouvant reléguée en quatrième position, derrière l’Allemagne d’ailleurs. Ce secteur assure 13 % des exportations du pays et il constitue 7% à 8% du PIB. Et ses effectifs, au total, seraient de 662.000 personnes actuellement. Le NWO et les pouvoirs publics cofinancent avec les firmes privées (Friesland Compania, DSM, Danone…) des projets de recherche pour renforcer le leadership hollandais dans ce domaine.

Quant au secteur de l’horticulture, on sait que la Hollande est le carrefour mondial du négoce des fleurs : elle représente à elle seule 60 % des échanges mondiaux, et le géant néerlandais de l’horticulture, la coopérative Royal Flora Holland a un chiffre d’affaires de 4,7 milliards d’euros. Un tel chiffre d’affaires pour une coopérative agricole fonctionnant dans un pays de la taille de la hollande est une performance extraordinaire : c’est le chiffre d’affaires de la coopérative française Sodial Union, avec ses marques bien connues Yoplait et Candia.

Conclusion

On voit, avec ces différents exemples, que la balance commerciale des pays que nous venons d’examiner s’est redressée avec l’expansion de un ou deux, voire, quand il s’agit d’un très grand pays, trois ou quatre secteurs d’activité, des secteurs où des progrès très importants sont intervenus pour accroître leur compétitivité, avec des stratégies qui ont, chaque fois, été des stratégies de différenciation. Les exemples les plus frappants sont ceux de la Suisse avec son industrie pharmaceutique, du Danemark avec ses activités pharmaceutiques et sa production porcine, et de l’Allemagne et de la Hollande avec leur secteur agro-alimentaire en plein développement. Il faut, pour que des secteurs puissent apporter une contribution importante au commerce extérieur d’un pays, qu’ils représentent 1,5 % à 2,0 % du PIB : s’ils sont marginaux, l’impact sur la balance du commerce extérieur est infime.

Nous verrons, dans la seconde partie, ce qu’il en est dans le cas de la France : la stagnation de son commerce international traduit-elle le fait qu’elle manque de « top sectors » ?

 

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1 commenter

zelectron février 25, 2020 - 9:59 am

les moyens désormais habituels de payer
soit l’emprunt, soit la vente des bijoux de famille . . . de production manufacturière point
(les Airbus et autre armements ne suffisent pas, loin de là !)

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