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Non, l’Etat n’est pas « le seul garant du bien public » !

par Bertrand Nouel
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Le 12 avril dernier, Nadine Levratto, chercheuse au CNRS et professeur à Paris-Nanterre, était invitée à discuter chez Nicolas Doze (BFM business) avec Jean-Charles Simon et Léonidas Kalogeropoulos, deux habitués de l’émission, libéraux bon teint. A un moment, la première a pris la mouche et s’est exclamée : « L’Etat est le seul garant du bien public… vous ne pouvez pas considérer que la santé, l’éducation, la justice relèvent de la sphère privée » !
Non, ce que cette chercheuse dit n’est pas vrai, et de plus cela perpétue cette opposition stérile entre public et privé dont la France ne parvient pas à sortir, et qui bloque le pays.

D’abord, il y a cette utilisation du terme « public », particulièrement polysémique et trompeur. Dans le début de son intervention, la chercheuse du CNRS utilise le terme « bien public » comme signifiant « bien commun », au sens abstrait du terme, de même que le fait Jean Tirole dans son ouvrage « Economie du bien commun ». Mais, quand elle se réfère aux domaines d’intervention de l’Etat, le terme « public » est alors utilisé dans le sens organique de « service public », créant de ce fait un amalgame voulant dire : seuls les services de l’Etat peuvent agir pour le bien commun – elle a même ajouté en substance, hélas classiquement, parce qu’ils ne sont pas mus par la recherche du profit. En dehors de sentir l’idéologie à plein nez (est-ce cela que l’on demande au CNRS ?), ce n’est pas ainsi que fonctionne la France. Reprenons les exemples cités.

La Justice

Fonction « régalienne » dit-on de façon désuète, car elle n’est plus « royale » (sauf peut-être pour la survivance qu’est le droit de grâce). Montesquieu est passé par là, et n’est régalien que l’organisation matérielle du service public de la justice, quand son exercice est celui du troisième pouvoir, indépendant du pouvoir exécutif comme chacun sait, cependant que le pouvoir législatif dicte les lois que le service applique. Le terme régalien est trompeur.
Or, sait-on que les quatre-cinquièmes des juges français ne sont pas des magistrats professionnels fonctionnaires, mais des citoyens de la société civile, élus et bénévoles ? Ils sont environ 22.000 et les gros bataillons se trouvent dans les conseils de prud’hommes et les tribunaux de commerce, mais aussi dans les tribunaux paritaires de baux ruraux, dans les juridictions pour enfants, ou encore comme magistrats remplaçants. Et d’autres professions sont officiers ministériels (les notaires) ou auxiliaires de justice (les avocats) et participent activement et quasi-bénévolement au service public, notamment de l’aide judiciaire. Ne s’agit-il pas là de la « sphère privée » et cela ne concerne-il pas là le rendu de la justice, le contenu même du service ?

L’Education

Elle n’est pas quant à elle une fonction régalienne. Bien sûr l’Etat a le rôle essentiel d’assurer l’enseignement gratuit, d’organiser programmes, examens et concours. Mais l’enseignement privé, qui compte 12.500 établissements, accueillant 2,2 millions d’enfants (17% du total) ne devrait pas mériter la même considération que l’enseignement public simplement parce qu’il est payant ? Rien n’est gratuit, et le « bien public » de l’éducation serait-il seulement l’apanage de l’Etat du seul fait que l’éducation publique (encore cet amalgame !) fait reposer son financement sur l’ensemble des contribuables au lieu des « usagers » qui savent, eux, pourquoi ils sacrifient, en tant que parents éducateurs, une partie de leurs ressources ? On se souviendra du rapide renoncement de François Mitterrand (lui qui fut pensionnaire au collège d’enseignement catholique privé d’Angoulême) à supprimer l’enseignement privé, devant le tollé généralisé des Français. L’enseignement privé, dont quasiment tous les établissements sont sous contrat avec l’Etat, n’est pas public mais est un acteur essentiel du service public.

La Santé

Concernant les établissements privés, ils exercent dans des conditions identiques, du point de vue des exigences techniques, aux établissement publics : depuis 2009, leurs « missions transcendent le statut (public ou privé) de l’établissement de santé : les cliniques et hôpitaux privés sont autorisés à prendre en charge des missions de service public hospitalier comme les Urgences, l’accueil et la formation des internes en médecine ». Ils assurent notamment la majorité des interventions chirurgicales[[• Soit 68 % de la chirurgie ambulatoire ;
• 57 % des opérations chirurgicales ;
• Près de la moitié des traitements anticancéreux ;
• 25 % des accouchements ;
• 2,5 millions de passage dans les services d’urgence ;
• 60 % des prises en charge de patients souffrant de dépressions ou troubles bipolaires ;
• 33 % des journées de soins de suite et de réadaptation en hospitalisation complète.
source Wikipédia, Vo. Hospitalisation privée en France]].

Quant aux médecins, 47% sont des purs libéraux, 30% des salariés, 12% des « mixtes ». Sans compter les autres professions essentielles dans le domaine de la Santé : dentistes, pharmaciens (ce sont des commerçants), infirmiers, aides-soignants, sages-femmes, etc. Chez les médecins, il faut noter que le phénomène de désertification des campagnes s’aggrave, une proportion très majoritaire d’entre eux préférant se réfugier dans le statut tranquille de salarié aux 35 heures plutôt que d’exercer de façon libérale dans des conditions plus dures mais aussi bien plus serviables.

Comme quoi les institutions publiques peuvent aussi détruire le service au public[[Et pourquoi ne pas rebaptiser l’ex-ENA Institut de service au public (ISAP) plutôt que ISP ?]]rendu par les médecins de campagne et la médecine de ville en général, qui est lui le vrai « garant » du bien public, encore appelé bien commun. Le monde à l’envers.

 

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