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Non, Monsieur Macron, « la mondialisation n’est pas une opportunité »

par Claude Sicard
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La mondialisation est-elle une opportunité ? Dans le cadre d’un débat, nous publions cette semaine ce premier article de Claude Sicard.

Le premier tour de l’élection présidentielle a révélé d’une manière limpide que l’on a affaire aujourd’hui à deux France différentes, deux France qui s’affrontent. Elles ont, chacune, leur champion. D’un côté, les partisans de la mondialisation qui se rangent sous la houlette du candidat des intellectuels et de la finance internationale, Emmanuel Macron, et, de l’autre, les laissés-pour-compte car victimes de la grave désindustrialisation de notre pays, qui se placent sous la bannière de Marine Le Pen, la présidente du FN. Les deux compétiteurs dans cette élection à la plus haute fonction dans notre République sont allés s’affronter, en ce début de campagne du second tour, à Amiens, où les salariés de l’usine américaine Whirlpool luttent pour empêcher la délocalisation en Pologne de leur unité de production. Cette confrontation sur le terrain entre les deux candidats restera, sans doute, une séquence marquante de l’entre-deux tours des élections, car elle illustre parfaitement l’opposition des deux thèses en présence.

Le candidat de la « mondialisation heureuse » a tenté d’expliquer aux grévistes d’Amiens que l’on ne pourrait pas s’opposer à ce que cette unité de production soit transférée en Pologne, car il s’agit, a-t-il dit, du jeu normal de la mondialisation. Il a expliqué que la France doit s’adapter à la mondialisation, une mondialisation qu’il ne faut pas refuser car elle est, a-t-il dit, « une opportunité ». L’autre candidat, Marine le Pen, a rassuré tous ces salariés menacés de chômage en leur affirmant qu’elle s’opposerait vigoureusement à la fermeture de ce site : la mondialisation, a-t-elle une fois de plus expliqué, est la cause de la très grave désindustrialisation de notre pays. Tout son combat consiste à protéger nos usines contre ce qu’elle appelle « cette concurrence déloyale » que crée, depuis sa mise en place, la mondialisation. Celle-ci est la cause, nous dit la candidate du FN, de la ruine de notre appareil industriel.

La même problématique agite actuellement divers pays développés. Aux États-Unis elle a, contre toute attente, propulsé, en décembre 2016, Donald Trump à la tête du pays. Le candidat républicain a recueilli, on le sait, les votes de tous les électeurs des régions sinistrées par la mondialisation, notamment ceux de ce que les géographes appellent la Rust Belt, dans le Nord-Est du pays. Le problème de la mondialisation fait donc débat, induisant un courant souverainiste important dans divers pays développés. Certes, les consommateurs y trouvent leur compte, disposant de très nombreux biens de consommation à des prix très inférieurs à ce qu’ils auraient été si la mondialisation n’avait pas été mise en place. Mais ceci s’opère au détriment de l’emploi. Emmanuel Macron a expliqué aux ouvriers de Whirlpool que sa politique consistera à intensifier considérablement la formation des chômeurs : mais ceux-ci lui ont répondu, à juste titre, que cela ne servirait sans doute à rien s’il ne se créait pas de nouveaux emplois dans la région.

La mondialisation a été mise en place, rappelons-le, par les grandes organisations internationales, le FMI et la BIRD, avec le soutien actif du Trésor américain, ceci en vue de rééquilibrer le monde, au plan économique. Et les grandes multinationales ont joué, on le sait, un rôle majeur dans ce processus. Elle est orchestrée, depuis le premier janvier 1995, par l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce, dont le siège se trouve à Genève, et elle a pour directeur général un diplomate brésilien de talent, Roberto Azevedo.

Comme nous allons le montrer, la mondialisation, qui consiste à laisser les flux de marchandises et de capitaux circuler sans aucune entrave dans le monde, a fonctionné comme un système de vases communicants, des vases situés à des niveaux différents : ceux au plus haut niveau se vident au bénéfice de ceux situés à des niveaux inférieurs. Et ce, d’autant plus aisément que les coûts de transport se sont considérablement abaissés dans la même période, grâce à la containerisation et grâce, également, au gigantisme des cargos porte-containers. Aujourd’hui, les coûts de transport maritime ont un impact infime sur les prix des produits transportés à travers le monde, et les pays développés se trouvent ainsi placés dans une compétition frontale avec les pays émergents qui, eux, ont des coûts de main-d’œuvre dix fois inférieurs, et ne respectent ni des lois sociales, ni leur environnement.

Pour illustrer les conséquences de ce processus de libération des échanges au plan mondial qui a été mis en place par l’OMC, les économistes de la BIRD ont retracé la progression des niveaux de vie des pays engagés dans la mondialisation, en chiffrant l’évolution de leur revenu per capita en parité de pouvoir d’achat (PPA), ce qui est effectivement le meilleur indicateur que l’on puisse prendre.

On constate, ainsi, que dans la période 1990-2015, les évolutions ont été les suivantes :

1990 2015 Progression
Chine 980 US $ 14.238 US $ 1.400 %
Viet Nam 970 US $ 6.027 US $ 621 %
Inde 1.146 US $ 6.088 US $ 531 %
Indonésie 2.893 US $ 11.035 US $ 381 %
Thailande 4.298 US $ 16.305 US$ 379 %

Comme le montre ce tableau, les grands pays asiatiques ont vu leur niveau de vie s’accroître dans des proportions considérables, et ce, en l’espace de seulement 25 ans. En Chine, notamment, où le PIB par tête a été multiplié par plus de 14 ! Dans le cas de l’Inde, le multiplicateur a été moindre, un peu plus de 5. Et dans le cas de la Thaïlande, il a été de quasiment 4.

Dans le même temps, la progression des niveaux de vie dans les pays développés a été considérablement ralentie. Les PIB par tête se sont trouvés multipliés, en moyenne, par un peu plus de 2, comme le montre le tableau ci- après :

1990 2015 Progression
Allemagne 19.031 US $ 47.268 US $ 248 %
Royaume Uni 17.446 US $ 41.324 US $ 236 %
États-Unis 23.954 US $ 55.836 US $ 233 %
France 17.505 US $ 39.678 US $ 226 %

Il faut rajouter à ces deux tableaux ce que la BIRD a appelé « la moyenne monde » : elle est passée de 5.413 US$ en 1990 à 15.470 US$ en 2015, soit une progression de 285 %. On voit ainsi que dans les pays développés la progression des niveaux de vie s’est trouvée ralentie : elle a été plus faible que la moyenne mondiale. C’est précisément l’objectif qui était recherché. Certes, les pays développés continuent de bénéficier de revenus par tête très élevés ; mais les écarts entre pays émergents et pays développés se sont considérablement réduits.

Le développement de la Chine a été extraordinaire, ce pays étant devenu, selon l’expression souvent employée, « l’atelier du monde ». Grâce aux transferts de technologie que ce pays a exigés, la Chine possède à présent toutes les technologies les plus pointues, et ses budgets de recherche-développement ont été hissés à la hauteur de ceux des États-Unis. Ce qui n’est pas peu dire, puisqu’il s’agit de sommes de l’ordre de 300 milliards de dollars américains par an ! Les capitaux étrangers s’y sont massivement investis, et les exportations chinoises se trouvent ainsi constituées à 58% de produits fabriqués sur place par les entreprises à capitaux étrangers.

On voit, ainsi, que, avec cette montée en puissance très rapide des pays asiatiques, les pays occidentaux les plus développés, comme c’est le cas des États-Unis ou de la France, en sont venus à voir leur secteur industriel se réduire considérablement, et, par conséquent leurs balances commerciales devenir très fortement déficitaires. Les États-Unis en sont à 750 milliards de dollars américains de déficit commercial par an, et la France à 50 milliards d’euros.

Quant aux grandes firmes multinationales, elles sont considérées par les économistes comme les grandes gagnantes de la mondialisation. Elles représentent, à présent, les deux tiers du commerce mondial, et elles font d’énormes profits. Leur nombre est considérable, la CNUCED avançant en 2010 le chiffre de 79.000.

Il faut bien voir que la France est l’un des pays développés, sinon le pays développé, qui a eu le plus à souffrir de la mondialisation, un grand nombre de ses entreprises industrielles n’ayant pas été en mesure de soutenir la concurrence intense qui leur était ainsi faite. La désindustrialisation du pays est, en effet, tout à fait considérable, la participation de l’industrie à la formation du PIB étant passée, en 30 ans, de 30% à seulement 11,5% maintenant, alors que la moyenne des pays européens se situe à 22% ou 23%. Quant aux effectifs du secteur industriel, ils ont fondu de moitié dans cette période. On voit qu’il a donc été difficile au candidat Emmanuel Macron de convaincre, malgré ses talents oratoires, les ouvriers de Whirlpool que la mondialisation constitue « une opportunité ». La France a perdu entre 1975 et 2015 environ 60.000 emplois industriels par an, et les produits manufacturés importés de l’étranger représentent, à présent, 54% de la consommation intérieure.

La présidente du FN propose d’instaurer un protectionnisme au niveau national pour permettre à nos entreprises de résister à la concurrence étrangère : c’est une solution qui n’a pas beaucoup de sens, car nos entreprises n’en trouveraient pas moins, pour autant, sur les autres marchés européens cette redoutable concurrence des pays émergents. Les exportations de nos entreprises se réalisent à 80% sur l’Europe : si donc, Marine le Pen était logique, il faudrait qu’elle propose que ce soit l’Europe elle-même qui entreprenne de protéger l’ensemble de son marché, un marché constitué de 500 millions de consommateurs à pouvoir d’achat élevé.

La politique à suivre par le prochain président devra consister à tout mettre en œuvre pour reconstituer au plus vite un appareil industriel à base de nouvelles technologies. Il faudra pour cela lever les obstacles qui depuis des décennies handicapent nos entreprises : un code du travail monstrueux de 3.600 pages qui est totalement paralysant pour les petites et moyennes entreprises, une fiscalité trop lourde qui plombe les entreprises, et un système fiscal totalement inadapté aux besoins de développement de notre économie.
Il va donc s’agir de procéder, en France, à une véritable révolution, à la fois sociale et fiscale pour mettre nos entreprises existantes, et surtout toutes celles qui vont se créer demain à base de technologies de pointe, en état de lutter contre les entreprises chinoises, sud-coréennes, indiennes…, notre pays n’étant plus protégé par l’éloignement géographique de ces pays asiatiques. Évidemment, il va revenir à l’Europe, de son côté, d’agir pour que les pays émergents qui rattrapent leur retard au plan économique ne se trouvent pas en mesure de détruire notre propre appareil de production.

Claude Sicard
Économiste, consultant international

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3 commentaires

Gerard avril 30, 2017 - 11:06 pm

Non, Monsieur Macron, « la mondialisation n’est pas une opportunité »
Pourquoi déformer ce que dit Emmanuel Macron par un titre racoleur que le corps de l’article contredit ? La mondialisation est une « réalité » et la France dans l’Europe n’a pas d’autre choix que de s’adapter. Et de nombreux pays européens dont l’Allemagne y parviennent très bien et y voient en effet une opportunité. Pourquoi pas nous ? Le programme protectionniste de Marine Le Pen est un contre sens comme les travaux de l’IFRAP le démontrent très bien.

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Anonyme mai 1, 2017 - 4:29 pm

Non, Monsieur Macron, « la mondialisation n’est pas une opportunité »
Dans la mondialisation tout n’est peut-être pas « opportunité », mais tout n’est pas « risque ». Voici par exemple une double opportunité que vous oubliez de mentionner: la mondialisation a permis aux politiques de donner du pouvoir d’achat aux citoyens sans trop augmenter les salaires, et aux consommateurs, une formidable opportunité d’accroitre leur pouvoir d’achat en disposant d’une offre surabondante en biens de consommation bon marché.
Si l’on compare avec d’autres pays, ce n’est pas tant la mondialisation qui a détruit X% de nos capacités de production et de nos emplois dans l’industrie, l’artisanat, l’agriculture que les politiques inadaptées de nos dirigeants politiques de droite comme de gauche, des comportements inadaptés de nos syndicats, de l’inadaptation de ce millefeuille d’institutions françaises qui ne ne défendent plus qu’elles-mêmes au détriment de ceux qu’elles sont sensées représenter, de cette Administration pléthorique qui bloque, entrave par des normes & règlements plus pénalisants en France que chez nos voisins, …
D’ailleurs pour nos voisins et concurrents la mondialisation est vécue comme une réalité dont chacun essaie de tirer profit des opportunité et essaie de prévenir ou limiter les risques. Pourquoi pas la France? M Macron au moins offre l’espoir d’accepter cette réalité et vouloir en faire une opportunité.
A titre d’équilibre, dans un prochain article vous pourriez peut-être développer « Non Mme Le Pen, la protection, le repli, le retour au franc…..ce n’est pas une Opportunité ».

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Hubin mai 6, 2017 - 10:36 am

Non, Monsieur Macron, « la mondialisation n’est pas une opportunité »
Nos malheurs vinnent de nous meme : la Suisse , les pays germaniques et nordiques se sont parfaitement adaptés à l’évolution des choses ; ils ont gagné en pouvoir d’achat, pas en dévaluant mais au contraire en réévaluant leur monnaie pour les suisses , en s’adaptant au marché mondial pour les autres ; dans les pays latins , France au premier rang , les activités de luxe prospèrent ! Donc meme en France il y a des succés , (l’aviation aussi ) mais chez nous il n’y a pas assez d’entreprises , pas assez d’entrepreneurs , pas assez d’entreprenants , la raison est d’abord fiscale : pas de perspective d’enrichissement par la taxation exagérée , arretez cela , faites que l’investisseur puisse s’enrichir et ils apparaitront , mais c’est contraire au privilège exclusif dont jouit le principe d’égalité qui nous tue mieux encore que le principe de précaution .

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