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Les femmes sont-elles l’avenir des entreprises françaises ?

par Claude Sicard
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Au moment où la presse économique commente abondamment l’éviction houleuse d’Isabelle Kocher de la présidence d’ENGIE, la seule femme qui était à la tète d’une entreprise du CAC 40, cette question peut paraitre saugrenue, mais nous allons voir que cette interrogation mérite réflexion. Des données statistiques récentes, en effet, pourraient être de nature à plaider en faveur des femmes, et, par ailleurs, sans que cela ait encore jamais été dit dans les manuels de gestion, des chercheurs américains dans le domaine de la stratégie d’entreprise ont montré que pour être un bon stratège, l’intuition est un atout déterminant : or, on s’accorde généralement à penser qu’il s’agit là, d’un don féminin. Les femmes auraient-elles donc des talents particuliers pour, mieux que les hommes, conduire une entreprise au succès ?

Tout d’abord, quelques données statistiques. Elles émanent de l’Observatoire Skema de la féminisation des entreprises, fondé il y a une dizaine d’années par Michel Ferrary, professeur à l’Université de Genève, qui publie chaque année un rapport sur les performances des entreprises en liaison avec leur féminisation. On voit dans le dernier rapport de cet organisme que dans la période 2009-2019 les 15 entreprises du CAC 40 les plus féminisées (Femina index 15) ont eu, en matière boursière, des performances extraordinaires, comme l’indique le tableau ci-dessous :

Performances du CAC 40 (période2009-2019)
CAC 40 43,24 %
Femina index 15 240,82 %
Femina index 10 288,96 %
(période2009-2019)

L’indice Femina 15 est à 240,82 alors que l’ensemble des entreprises du CAC 40 est à l’indice 43,24 % seulement. Cet indice donne l’évolution des 15 entreprises du CAC 40 dans lesquelles la proportion de femmes dans l’encadrement est supérieure à 40%. Et si l’on s’en réfère aux dix entreprises dont l’encadrement est encore plus féminisé (Accor, AXA, BNP-Paris Bas, Danone, l’Oréal, LVMH, PPR, Publicis, Sanofi et la SG) l’indice se monte à 288,96.

Pour ce qui est, ensuite, du management des entreprises, il y a deux volets, essentiels, où les femmes pourraient être, de par leurs dons naturels, plus à même de réussir que les hommes. Et nous allons montrer pourquoi. Harold Leavitt, dans son fameux ouvrage « Corporate path finders » a distingué dans les tâches de direction, trois volets différents, comme le montre le graphique ci-dessous :

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Les deux talents essentiels du chef d’entreprise

Le premier volet, « path finding », consiste à « trouver la voie », c’est-à-dire comment réussir, et en faisant quoi ? ; le second, « problems solving », est celui des nombreux problèmes à résoudre, et ils sont divers et variés ; et le troisième, « implementing », est celui de la conduite de l’action. Les tâches (1) et (3) sont du domaine exclusif du chef d’entreprise. Ce sont des responsabilités qu’il ne peut en aucune manière déléguer : un chef d’entreprise doit être, en effet, à la fois un bon stratège et un leader charismatique. Les tâches du volet deux, par contre, sont du ressort de ses collaborateurs, et le chef d’entreprise ne doit pas s’y engloutir : il a seulement à trancher.

Pour élaborer une stratégie, les consultants américains sont parvenus, non sans difficulté, à mettre au point une méthode et des concepts pouvant être appliqués à toutes les entreprises, et l’on a pensé trop vite qu’il suffisait de les utiliser mécaniquement pour élaborer une stratégie gagnante. Malheureusement pour les entreprises, il n’en est rien, et l’on a fini par découvrir que pour les appliquer avec succès il faut certains talents, des aptitudes qui relèvent du « cerveau droit » : vision, intuition et créativité. Et pour ce qui est de la conduite de l’action « implementing », il faut des talents qui, là aussi, relèvent du cerveau droit : les PDG doivent être, en effet, des chefs qui mobilisent en permanence l’énergie de leurs troupes, ce qui nécessite d’être de bons communicants, et d’avoir beaucoup d’empathie.

Rappelons brièvement ce que sont les concepts mis au point par les chercheurs américains. En 1965, l’Université de Harvard a publié un premier ouvrage présentant la méthode LCAG, du nom de ses auteurs. Quelques années plus tard, une avancée considérable a été faite par un cabinet de consultants américains, le Boston Consulting Group, le BCG, avec sa fameuse matrice d’analyse stratégique, et tous les grands groupes se mirent aussitôt à l’utiliser. Puis, dans le début des années 1980, il y eut les apports importants de Michael Porter qui permirent de compléter l’approche du BCG en montrant qu’il y a d’autres stratégies possibles pour une entreprise que la seule « domination par les coûts » sur laquelle se fondait le BCG. Il y a aussi, nous dit Porter dans « Competitive advantage », deux autres stratégies possibles : la différenciation et la focalisation. Enfin, il y a eu, dans les années 1990, les apports de Weston Agor, professeur à l’Université du Texas, qui a mis en évidence le rôle essentiel de l’intuition dans la stratégie. Cet universitaire s’est fondé sur les découvertes de Roger Sperry sur le fonctionnement du cerveau, qui ont valu en 1981 à ce chercheur, le prix Nobel. Les deux hémisphères de notre cerveau ne fonctionnent pas de la même manière : l’hémisphère droit est le siège de la vision globale, et il permet d’appréhender les phénomènes d’une manière holistique, alors que le cerveau gauche est le siège du raisonnement linéaire, logique, séquentiel, c’est-à-dire un élément à la fois. Le cerveau droit est intuitif, créatif, et le gauche pousse à l’extrême l’analyse des problèmes. Les comptables sont typiquement des cerveaux gauches, et les musiciens, les artistes, au contraire, des cerveaux droits. Evidemment, les deux cerveaux communiquent, et bon nombre de personnes fonctionnent d’une manière relativement équilibrée. Weston Agor, en recourant à des tests de personnalité pour savoir comment une personne fonctionne, est parvenu, statistiquement, à la conclusion que les chefs d’entreprise qui réussissent sont tous des cerveaux droits.

Ces apports de Weston Agor ont été jusqu’ici par trop ignorés. Pourtant, ils jettent un éclairage nouveau sur la difficulté qu’il y a à utiliser les techniques d’élaboration d’une stratégie d’entreprise mises au point par les chercheurs de Harvard : les concepts proposés nécessitent le recours à l’intuition et à la créativité, et cette nécessité de recourir au cerveau droit se retrouve à chaque stade de la démarche. Au premier stade, celui où il faut définir le « métier » de l’entreprise, il faut, pour obtenir une définition riche et porteuse de projets d’avenir, être intuitif et créatif. Ensuite, pour bâtir le portefeuille de l’entreprise, il faut identifier avec pertinence les différents « domaines d’activité » de l’entreprise, les fameux SBA « Strategic Business Areas » que l’on appelle en français les DAS « Domaines d’Activité Stratégiques ». Là, à nouveau, l’intuition et la créativité sont nécessaires. Et enfin, après que l’on ait décidé de la façon dont le portefeuille de l’entreprise va être composé, il va falloir déterminer la stratégie à suivre dans chaque DAS, Porter ayant apporté la notion d’une stratégie par DAS : on n’est nullement obligé, en effet, d’avoir la même stratégie dans tous les DAS. Et pour choisir l’élément de différenciation par lequel l’entreprise va se distinguer de ses concurrents, si l’on opte pour ce type de stratégie, l’intuition et la créativité sont, à nouveau, indispensables.

Le rôle de l’intuition et de la créativité n’a jusqu’ici que très peu été mentionné dans les manuels d’analyse stratégique d’entreprise, et ainsi les entreprises pensent-elles pouvoir appliquer mécaniquement les techniques apprises dans les livres. Les résultats, lorsque ces méthodes sont utilisées par des personnes peu expérimentées, et dépourvues des talents nécessaires, se trouvent décevants. Le métier de l’entreprise est presque toujours défini d’une façon banale, donc mal défini, les DAS sont mal identifiés, et souvent on oublie de les dimensionner géographiquement, ou bien on les dimensionne mal, et, enfin, les paramètres de différenciation choisis ne sont pas toujours pertinents. Aussi, bon nombre de chefs d’entreprise peu convaincus de l’intérêt des ces techniques, ou les ignorant, ce qui arrive encore assez souvent, s’en tiennent-ils à leur intuition. Les psychologues nous disent que l’intuition est une logique interne qui agrège inconsciemment et d’une façon instantanée les données d’expérience et les connaissances que l’on possède à un moment donné. On se souvient du « Eureka » d’Archimède.

La vision, l’intuition, et la créativité qui résultent toutes trois du cerveau droit, sont donc des dons indispensables pour que les PDG conduisent leur entreprise au sucés. On a pu constater en France, après les Trente glorieuses, que de très nombreuses entreprises ont périclité, puis disparu, lorsque nos frontières se sont ouvertes à la concurrence étrangère en raison de l’incapacité qui a été celle de leur dirigeant de concevoir une bonne stratégie. Jusque-là, grâce à l’empire colonial très important que possédait la France, nos entreprises vivaient en vase clos, à l’abri de la concurrence étrangère. Le problème est venu de ce que la plupart de ces dirigeants étaient des techniciens, ou des ingénieurs, donc des personnes « cerveau gauche ». Les enseignements techniques que suivent les techniciens supérieurs et les ingénieurs, sont, en effet, des formations qui conviennent parfaitement aux cerveaux gauches, et qui, même, les développent. Les cerveaux droits qui y sont soumis, et cela peut arriver du fait d’erreurs dans les choix d’orientation des jeunes pour leur carrière, voient leurs talents naturels fortement contrariés : ce sont des formations qui, en somme, les mutilent car le cerveau est un organe extrêmement malléable. C’est peut- être ce qui s’est produit chez ces deux femmes éminentes, Anne Lauvergeon qui était à la tête d’AREVA et Isabelle Kocher à la tête d’ENGIE, dont la presse a beaucoup commenté ces derniers temps les échecs qu’elles ont subis : elles étaient, il est vrai, l’une et l’autre, ingénieur du corps des Mines.

Si donc l’on considérait que les femmes sont dotées de bien plus d’intuition que les hommes, on en arriverait à la conclusion que le sexe féminin, par nature, est en mesure de fournir bien plus de bons chefs d’entreprise que le sexe masculin. De par la loi Copé-Zimmerman qui a imposé aux entreprises cotées et de plus de 500 personnes un quota de 40 % de femmes dans les CA, on est arrivé maintenant dans notre pays à cette proportion. Mais dans les Comex on en est très loin puisqu’il s’agit d’un taux de 13 ,6 %, actuellement. Et aucune femme n’est à la tête d’une entreprise du CAC 40. Il y a, néanmoins, une réelle progression des femmes dans les hautes sphères de la vie économique du pays, avec des noms comme Anne Rigail nommée DG d’Air-France, Sibyle Veil PDG de Radio-France, Sophie Boissard DG du groupe Korian, etc. pour ne pas citer Christine Lagarde à la tête de la BCE. Et, en juillet prochain, une femme sera nommée PDG de l’électricien Legrand. Progressivement, donc, les thèses féministes gagnent du terrain, et l’association FCEM (Femmes chefs d’entreprises mondiales) présidée par une française y contribue beaucoup.

Les travaux sur le cerveau se poursuivent, et les connaissances progressent. Une étude récente, de grande ampleur, de l’Institut de Pennsylvanie, qui a eu recours à la technique d’imagerie par tenseur de diffusion, a montré que les cerveaux des hommes et des femmes ne sont pas câblés de la même manière. Elle a confirmé que les hommes sont plus câblés pour l’action immédiate que les femmes, et que celles-ci, par contre, en raison d’un câblage plus horizontal entre les deux cerveaux, possèdent « une meilleure intégration du raisonnement avec l’intuition ». C’est du moins ce que nous dit la revue « Psychological science » qui a publié les résultats de cette étude. Il y a donc des éléments qui militent en faveur de la thèse voulant que le sexe féminin serait à même de fournir davantage de bons managers que le sexe masculin, mais, pour l’instant, il est trop tôt pour conclure.
Les femmes, incontestablement, font, aujourd’hui, de moins en moins l’objet de discriminations dans l’accès à des postes de responsabilité : on se souvient de cette revendication d’Olympe de Gouges, en 1791, une des premières féministes, lors de la Révolution française, qui lança une pétition où elle disait : « La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune »

Claude Sicard
Auteur de « Le Manager stratège » et « L’audit de stratégie » (Ed Dunod)

 

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