Page d'accueil Études et analyses Les Français et la maladie du « Toujours Plus »

Les Français et la maladie du « Toujours Plus »

par Claude Sicard
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L’année 2022 vient de s’achever, et l’on s’interroge avec inquiétude sur ce que nous réserve la nouvelle année. Toutes les économies européennes sont très fortement affectées par les répercussions de la guerre menée par les Russes en Ukraine et le FMI vient d’abaisser de 2,5 % à 2 % ses prévisions pour la croissance mondiale. Il nous dit dans sa dernière note : « Le ralentissement le plus marqué interviendra dans la zone Euro ».[[Article paru le 3 janvier 2023 sur Contrepoints]]

Et, dans le cas de la France, les handicaps pour surmonter les difficultés qui se profilent ne manquent pas : un secteur industriel amoindri qui ne représente plus que 10 % du PIB faisant de la France le pays le plus désindustrialisé d’Europe, la Grèce mise à part, une dette à caractère structurel qui est supérieure au PIB et ne cesse de croitre, un taux de chômage qui est un des plus élevés d’Europe, et des dépenses publiques qui sont en proportion du PIB beaucoup plus importantes que partout ailleurs. Nos dirigeants n’ont donc pas devant eux une page blanche.

Et il existe, de surcroit, mais on n’en parle jamais, un élément sous-jacent qui est une donnée sur laquelle les dirigeants n’ont aucune prise : la sociologie du peuple français.

Le rôle de la sociologie en matière économique

Dans les processus et les phénomènes économiques les éléments sociologiques jouent un rôle extrêmement important. Karl Polanyi, un économiste-anthropologue austro-hongrois dont les travaux sont très appréciés par les économistes de l’Ecole de Toulouse nous dit dans son ouvrage La grande transformation qu’il n’y a pas de relations économiques sans relations sociales. Et l’on se souvient que Max Weber, dans son ouvrage L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme , paru en 1905, avait expliqué que la différence profonde de performances économiques existant entre les pays du nord de l’Europe et les pays du sud tient au fait que les uns sont protestants alors que les autres sont catholiques. Il a défendu la thèse voulant que ce soit l’éthique protestante qui a fait le succès du capitalisme : chez les protestants on accumule pour investir et non pas pour consommer. La France fait partie de ce que certains experts, à Bruxelles, appellent malicieusement les « pays du club Med », et nos dirigeants se voient contraints de faire avec cette donnée qui est, par nature, inchangeable. Max Weber a fait le constat que lorsque dans un pays il y a une partie protestante et une autre catholique c’est toujours la partie protestante qui est la plus prospère.
Au-delà de cette spécificité culturelle il y a, en France, une caractéristique particulière qui est d’avoir un syndicalisme d’opposition résultant, nous disent bon nombre d’ auteurs, de la loi de Waldeck Rousseau de 21 Mars 1884 qui a donné une base légale aux syndicats mais « les a écartés des sages sentiers de l’administration des choses ». En Allemagne et dans les pays scandinaves, qui sont des pays sociaux-démocrates, les syndicats et le parti socialiste collaborent, et il y a même le système de la cogestion des entreprises chez notre voisin allemand. Dans les pays scandinaves, les conflits se règlent par le dialogue, et c’est aussi le cas de la Suisse où, depuis l’accord conclu en 1937 qui s’est appelé « La Paix du travail », il n’y a plus jamais de grèves. Il faut s’en reporter, dans le cas de la France, à la Charte d’Amiens de 1906 qui a fondé le syndicalisme français : elle prône l’expropriation capitaliste et la lutte des classes, avec comme moyen d’action la grève générale, et, ainsi, l’inconscient prolétarien, en France, est révolutionnaire. Cette charte a constitué jusqu’ici l’ADN du syndicalisme français. Aussi, les conflits entre les syndicats et le patronat n’ont-ils pas cessé de secouer la société. Il est impossible de les énumérer tous, ici, mais on ne peut manquer de rappeler l’épisode du front populaire de 1936 où ont été obtenus la semaine de 40 heures et les congés payés : dans toute la France des usines furent occupées et le drapeau rouge flottait sur bon nombre d’entre elles.

Avec ces innombrables luttes contre le pouvoir et le patronat les Français ont obtenu des « avantages sociaux » importants qui se sont inscrits dans la législation du pays, et l’on a abouti à un code du travail très volumineux et particulièrement rigide qui nuit au bon fonctionnement de nos entreprises. On en est ainsi arrivé à un mode de fonctionnement de notre économie qui est synthétisée par le tableau suivant, un tableau où les pays scandinaves et la Suisse sont pris comme exemples de pays où l’économie est dynamique et prospère :

Comparaison : France, Pays scandinaves et Suisse
France Pays scandinaves Suisse
Taux de Pop. Active 45,9 % 50%-55% 57%
Durée vie active 35,6 ans 41 ans 42,4 ans
Heures travail/an 1.402h 1.562h 1.831h
Durée hebdo. travail 35h 37-38h 45-50h
Jours grève/1.000 114 _ 1

On voit, sur ce tableau, comment s’est organisé notre pays pour faire fonctionner sa machine économique, par comparaison avec les pays scandinaves et la Suisse. On note, dans le cas de la France : un taux de population active anormalement bas, une durée de vie active plus courte que dans les autres pays, un nombre d’heures travaillées par an inférieur à ce qu’il est dans les pays du Nord ou la Suisse, et une propension à recourir à la grève particulièrement élevée. Il manque à la France pour le moins 4 millions de personnes au travail, et encore compte-t-on dans la population active les chômeurs sensés rechercher activement un emploi. Il est bien certain que les personnes qui en France ne sont pas au travail sont portées par la communauté nationale, vivant de subsides fournis par les membres actifs de la société. On notera qu’à fin octobre 2022 il y avait, à Pôle Emploi, l’organisme qui en France gère les chômeurs, 6.198.310 inscrits, toutes catégories confondues (A, B, C, D et E), la catégorie A intervenant dans ces chiffres pour 3.091.900 personnes.
Il en résulte, pour notre pays, des performances économiques très inférieures à celles des pays scandinaves et de la Suisse ; et, paradoxalement, un rang médiocre dans le classement des nations dans le World Hapiness Report de l’ONU de l’année 2019, notre pays se situant au 24e rang seulement, entre le Mexique et le Chili alors que les pays pris ici en exemple sont tous en tête du classement.

PIB/capita Dette/PIB Dép.Soc/PIB World Hapiness
(US $) (En %) (En %) (rang mondial)
Finlande 53.654 72,4 % 54,9% N°1
Suède 61.028 42,0 % 50,2 % N°7
Danemark 68.007 33,2 % 51,0 % N°2
Norvège 89.154 36,2 % 18,0 % N°3
Suisse 91.991 42,4% 17,5 % N°6
France 43.659 113,5 % 59,2 % N° 24

Quand la France va-t-elle pouvoir se reformer ?

On voit, à l’examen de ces simples données que la France a un immense besoin de se reformer, mais nos dirigeants sont très loin de s’atteler à cette tâche. Nos dépenses publiques sont à un niveau très supérieur, en proportion du PIB, à ce qu’elles sont partout ailleurs (51,9 % du PIB contre 34,9 % pour la moyenne OCDE ), les hôpitaux publics sont fortement déficitaires et ils ont un dette qui s’élève à 30 milliards d’euros, la COR prévoit que le déficit des caisses de retraite va s’élever dans les prochaines années à 0,5, voire 0,8, points de PIB, et le pays a perdu près de la moitié de son secteur secondaire, celui de l’industrie, qui ne représente plus que 10 % du PIB alors qu’il devrait se situer à 18 % pour le moins. De toutes parts, la population réclame davantage de policiers, davantage de médecins et d’infirmières, davantage de juges, davantage de gardiens de prisons, davantage de postiers, etc… Et les revendications pour une augmentation du pouvoir d’achat sont permanentes. Les 35 heures de Martine Aubry ont fait, partout, des dégâts considérables, et aucun autre pays n’a adopté une telle mesure. Les Français ne parviennent pas à réaliser que notre PIB par habitant est bien inférieur à celui de nos voisins du Nord, et ils veulent faire fonctionner leur machine économique avec des ratios inférieurs, pour ce qui est des éléments clés qui interviennent dans le processus de création de richesse, à ce qu’ils sont dans les pays où les PIB par tête sont élevés.

Cette maladie du « toujours plus » qui affecte les Français avait été dénoncée déjà, on s’en souvient, en 1982 par le journaliste et essayiste François de Closets dans l’ouvrage Toujours plus, paru chez Grasset, qui eut à l’époque beaucoup de succès. Il nous disait : « Les Français se proclament tous défavorisés, réclamant plus d’argent, mais aussi plus de droits, d’avantages, de loisirs, et de garanties ». Et en 2006, cet auteur est revenu à la charge sur cette maladie incurable en publiant, chez Plon, un nouvel ouvrage intitulé Plus encore. Il serait bon que nos dirigeants veuillent bien s’y référer : François Mitterrand avait qualifié le premier livre « d’ouvrage salutaire ». Cet esprit revendicatif s’était traduit par ce bouleversement extraordinaire qu’a été la Révolution de 1789 qui a aboli la royauté, avec les cruautés et les massacres qui ont marqué tout cet épisode. Cette grande révolution s’est inscrite dans notre roman national : elle est une date clé de l’histoire de France. Elle est louée aux jeunes générations, à l’école, comme un élément positif, et on utilise donc la grève, voire l’organisation de mouvements populaires violents, pour s’opposer au pouvoir. Et le marxisme est venu se greffer sur ce fond culturel. Lénine avait parlé de « révolution permanente », et cette idéologie a eu beaucoup de sucés en France. Les évènements de Mai 68 en ont été une illustration parfaite, mettant à mal, une fois de plus, l’idée même d’autorité. Et il y a eu récemment le mouvement des Gilets jaunes qui a beaucoup agité le pays.

Les pouvoirs publics doivent donc faire avec cette donnée de la sociologie française. Alain Duhamel a voulu, avec la riche expérience qui est la sienne, analyser la psychologie politique des Français, et il a publié à cet effet, chez Plon, en 2016, un ouvrage intitulé Les pathologies politiques françaises, où il nous dit qu’« elles incitent le pouvoir à avancer en crabe ». Il s’agit donc bien d’avancer, mais avec précaution, et la première consisterait à expliquer, avec franchise, aux Français où nous en sommes, plutôt que de dissimuler en permanence, comme cela se fait, la situation dans laquelle nous nous trouvons. Un sondage Harris Intreactive, en date de juillet dernier, nous indique que 6 Français sur 10 sont pessimistes sur l’avenir du pays, mais on ne leur a jamais expliqué quels sont les défis à relever. Ils savent que notre pays va mal, mais ils ne comprennent pas pourquoi, et cela les dresse contre nos dirigeants. Il va donc falloir en venir à une heure de vérité, et nos concitoyens comprendront alors les raisons pour lesquelles on leur demande de faire des efforts. On peut imaginer qu’à l’image du courage que manifestent aujourd’hui les Ukrainiens pour défendre leur patrie, ils auront à cœur de faire, à leur tour, montre d’un esprit de civisme. Pour l’instant, on n’en est pas là : le civisme est une vertu qui s’est estompée. Dès qu’une occasion propice se présente, on déclenche une grève avant même de négocier, et la direction de l’entreprise, prise au piège, doit céder. La SNCF, une fois de plus, vient d’en faire l’expérience, au moment où, pour les fêtes de fin d’année, la population a le plus besoin de se déplacer.

 

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1 commenter

Laurent Guyot-Sionnest janvier 6, 2023 - 9:42 am

Les Français ne voyagent pas assez
Les Français ne voyagent pas assez dans les pays plus riches que nous.

Un des moteurs vers l’effort réside dans la comparaison avec ses voisins.

Les Français ne voyagent pas assez et le font aussi dans des pays qui semblent moins riches que nous , Italie, Espagne , Angleterre.

D’autre part, jusqu’à l’arrivée des baby boomers et le retour des femmes sur le marché du travail , cela faisait au moins un siècle que la stagnation de la population nous avait amenés à vivre en population active travaillant stable : nous ne savons plus vraiment créer des emplois pour accueillir l’augmentation forte de la population en age de travailler … et nous inventons des expédients pour partager le travail supposé fixe . La France s’endette pour consommer et importer au lieu d’investir pour financer la création d’emplois modernes équipés (110 k€ de capital comptabilisé plus capital immatériel ) et compétitifs à l’échelle mondiale . Il nous manque plusieurs millions d’emplois marchands : comment favoriser leur création alors que la France est en quasi faillite et jette l’argent par les fenêtres , notamment pour prétendre diminuer ses émissions de CO2? (les éoliennes ont couté au moins 100 milliards aux Français sans diminuer le CO2 émis pour produire l’électricité).

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