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Le trompe l’œil de la Cour des comptes

par Bernard Zimmern
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Il est intéressant de voir la Cour des comptes et le Parlement organiser les 9 et 10 novembre un colloque sur la LOLF (loi organique relative aux lois de finances) à l’occasion des 10 ans de sa naissance. Les deux architectes de cette loi, Didier Migaud, à l’époque président de la commission des finances de l’Assemblée nationale et Alain Lambert, président de celle du Sénat, sont maintenant tous deux à la Cour des comptes, l’un comme Premier président l‘autre comme conseiller-maître. C’est l’occasion de faire le point sur cette splendide manœuvre qu’a été la mise en place de la LOLF.

En 1999, avec la coopération de Didier Migaud, Laurent Fabius, alors président de l’Assemblée nationale, avait en effet dressé, à travers une vingtaine de dépositions, un réquisitoire contre l’État dépensier ; réquisitoire où figurait notamment le témoignage de Daniel Bouton, futur président de la Société Générale et représentant alors la Direction du Budget ; il fustigeait la dépense publique honorée 364 jours mais avec le pays, battant sa coulpe le 365ème jour en se prosternant devant les rapports de la Cour des comptes.

Après ce réquisitoire, il aurait été normal qu’au lieu de la LOLF, l’État se dote d’une commission d’enquête pour traquer les dépenses inutiles ; il aurait été normal qu’on demande à la Cour des comptes d’aller un peu plus loin et d’être plus pertinente dans ses enquêtes et surtout ses propositions.

Tout organisateur chargé de baisser la dépense dans une institution commence en effet par faire l’inventaire de ce qui ne marche pas, et, sachant ce qui doit être corrigé, il imagine alors des indicateurs, un tableau de bord, permettant de s’assurer que les prescriptions seront suivies et les économies au rendez-vous. Mais cela aurait conduit à s’attaquer de front au pré carré de la fonction publique.

La manœuvre brillante a été d’inverser l’ordre normal et d’inventer des indicateurs avant même d’avoir établi le diagnostic, d’éviter ainsi toute critique en profondeur de la gestion publique en faisant croire que le simple fait d’organiser le budget autour d’objectifs et non plus de moyens suffirait à rendre la dépense vertueuse. Un bon indicateur ne peut pourtant exister sans un bon diagnostic préalable. Et, en confiant de plus l’établissement des indicateurs à l’administration qu’ils étaient censés contrôler, on était assuré qu’ils ne pourraient lui créer aucune gêne.

Le résultat est visible aujourd’hui avec une dépense publique qui n’a cessé de crever ses plafonds et un gâchis d’argent public qui est bien plus grave qu’il ne l’était il y a 12 ans, au moment où opérait la commission réunie par Laurent Fabius et Didier Migaud.

La plupart des députés qu’il nous est arrivé d’interviewer se sont plaints de ce que la LOLF, loin d’être un progrès, était un pas de plus dans l’obscurité, rendant beaucoup plus difficile le contrôle parlementaire et surtout, interdisant pratiquement toute intervention : du fait de la « fongibilité des dépenses » (la possibilité pour l’Administration de déplacer des dépenses de moyens d’un poste à l’autre pour autant que le total du programme reste inchangé), il n’est plus possible de s’attaquer à un élément de la dépense sans mettre en cause tout un programme.

Mais la LOLF a surtout permis de différer une réforme des organismes de contrôle de la dépense publique, et, au premier chef, la Cour des comptes.

L’arrivée de Didier Migaud comme Premier président et très récemment d’Alain Lambert, peut-elle laisser espérer cette réforme, souhaitée par Philippe Séguin, visant -hors de la très discutable suppression des chambres régionales- à rendre la Cour des comptes plus opérationnelle ?

Pour comprendre l’ampleur du problème, il suffit de relire le dernier Rapport public 2011 de la Cour des comptes. Il contient 20 dossiers touchant aux politiques publiques. Sur les 90 recommandations qui concluent ces dossiers, aucune, nous disons bien aucune, n’est chiffrée.

Les deux seules recommandations qui soient précises sont celles touchant les rémunérations des réservistes militaires (6,4 millions d’euros d’exonérations à l’IR) et de la SOVAFIM que la Cour propose de supprimer, dont le gain comme résultat de sa suppression n’est même pas annoncé. D’après notre évaluation, cela représenterait 300 millions d’euros environ pour la SOVAFIM, bien maigre bilan pour une Cour des comptes qui avec ses 700 agents coûte quelque 80 millions d’euros par an.

Pour les autres recommandations, la plupart sont, non des propositions concrètes, mais de remarquables exemples de l’art invocatoire, du style :

Tout en visant la satisfaction des besoins des usagers et la fidélisation de la clientèle, aujourd’hui soucieuse d’authenticité autant que de détente, faire preuve de prudence avant de s’engager dans de coûteuses diversifications de leurs activités, tant hivernales qu’estivales (« la gestion du domaine skiable en Rhône-Alpes »)

ou

Pour mieux anticiper les besoins de la population en matière de santé :
adopter un plan stratégique retenant un nombre limité d’objectifs quantifiés ;
déterminer les moyens les plus efficients pour atteindre ces objectifs, tant en ce qui concerne l’offre de soins que la sécurité sanitaire ( « financement du système de santé en Polynésie »).

Sur les 90 recommandations, nous n’en avons trouvé qu’un tiers qui ait un contenu un peu opérationnel et qui ne soit pas seulement incantatoire comme les deux exemples cités ci-dessus.

Nous retrouvons là un défaut déjà épinglé par deux députés de la Commission des finances de l’Assemblée qui se plaignaient du « caractère trop souvent ambigu des recommandations, insuffisamment identifiées, pas assez hiérarchisées ni budgétairement étayées et pas assez opérationnelles »[[Rapport du 10 mai 2005 par Yves Jégo et Jean-Louis Dumont « Le suivi des préconisations de la Cour des comptes et de la Mission d’évaluation et de contrôle »]].

Ce sera à Didier Migaud de dire – et l’anniversaire de la naissance de la LOLF en est une bonne occasion – s’il est possible de contourner la justification classique opposée par les magistrats de la Cour à toute proposition plus concrète. Appartenant à l’ordre judiciaire, ils s’interdisent, au nom de la séparation des pouvoirs, de faire des propositions de réforme précises [[Interview de Nicolas Bazire,publié par la revue de la Fondation iFRAP, Société Civile n° 85 : « Réformer la Cour des comptes : Redéfinir sa mission pour mieux contrôler la dépense publique ».]] qu’ils jugent du domaine de l’exécutif ou du législatif. Difficile par exemple pour eux de proposer, comme l’a fait le NAO (National Audit Office, anglais, équivalent de la Cour mais rattaché au Parlement britannique), la suppression pure et simple d’un organisme public équivalent de notre Oséo. Et, a fortiori, de chiffrer les économies correspondantes puisque, pour qu’un tel chiffrage soit possible, il serait nécessaire d’établir les différences entre l’existant et une nouvelle structure proposée.

De la position prise par la nouvelle direction de la Cour des comptes, nous devrions savoir si elle est à même de surmonter cette barrière ou si, pour permettre d’avoir un contrôle de la dépense publique efficace, il est nécessaire de transférer au Parlement, sur les 700 personnes de la Cour, les quelque 200 personnes, comprenant les non-magistrats, mais ayant une expertise technique, et leurs assistants administratifs. Au Parlement qui n’a aucun moyen propre d’évaluation et qui est entièrement dans les mains de l’Administration même pour les études d’impact précédant le vote des lois, ils pourraient effectuer les mêmes diagnostics qu’actuellement mais aller jusqu’au stade des solutions et du chiffrage des économies. La Cour des comptes avec ses magistrats continuerait d’exercer son métier traditionnel : le contrôle de légalité et les certifications dont on comprend qu’ils restent du domaine judiciaire.
L’anniversaire de la création de la LOLF est une très bonne occasion de faire le point sur 10 ans de contrôle de la dépense publique et d’envisager les réformes qu’elle a permis de différer.

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