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Le recul de l’âge de la retraite est nécessaire pour équilibrer l’ensemble des comptes publics

par Bertrand Nouel
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La messe paraît être dite : la réforme des retraites se fera, le Président est prêt à mettre sa tête sur le billot. Cela signifie que l’âge légal passera en 2031 à 65 ans – ou peut-être seulement à 64 ans si cela permettait d’éviter le vote d’une motion de censure.

Trois motivations sont évoquées par le gouvernement : éviter à moyen terme un nouveau déficit du régime, dégager des marges de manœuvre financières pour d’autres dépenses sociales, et créer de l’emploi pour les seniors dont le taux d’emploi est très faible, surtout entre 60 et 64 ans.
Le Gouvernement a raison. Mais les syndicats sont unanimes à refuser tout report de l’âge légal, au motif, invoqué par Laurent Berger, que l’équilibre financier des retraites n’est pas menacé et que le gouvernement confond « comptes publics » et « comptes sociaux ». Nous limiterons cette note à discuter de ce point, qui soulève le problème du passage du système « bismarckien » au système « béveridgien », c’est-à-dire du financement par le travail au financement par l’impôt.

Les comptes sociaux ne sont-ils pas devenus qu’une partie des comptes publics ?

Le financement de la protection sociale, traditionnellement assuré par des prélèvements sur le revenu du travail, donc par les cotisations sociales payées par les employeurs et par les salariés, a énormément évolué depuis les années 1945 et suivantes, origine de la protection sociale en France (dès la fin du XIXème siècle en Allemagne). Dans ce système, de type assurantiel et contributif, appelé système bismarckien, la gestion est assurée par les partenaires sociaux.
Au contraire, le système anglais, théorisé par l’économiste William Beveridge, est de type assistanciel et non plus assurantiel, financé par l’impôt, donc géré par l’Etat en tant que partie des comptes publics. La partie contributive, représentée par les cotisations, est peu importante et surtout les prestations perçues par les bénéficiaires ne sont pas en rapport financier direct avec ces cotisations
Bien que toujours géré par les partenaires sociaux, ce qui explique les résistances syndicales, le système français, comme celui de la plupart des autres pays, évolue de plus en plus vers ce financement par l’impôt. Voici les chiffres.

+Le financement de la protection sociale en général et son évolution.+

Voici les chiffres comparés pour 2010 et 2020 (en milliards d’euros) :
2010 2020*
Emplois 660 872
Dont Prestations 617 813
Frais de gestion 43 59
Ressources 638 821
Dont Cotisations effectives 358 436
Cotisations imputées** 49 58
ITAF*** 150 245
Contributions publiques 67 130
Autres 20 15


*L’année 2020 est certes exceptionnelle par l’importance des contributions publiques ainsi que la baisse des cotisations. En 2019 malgré tout, les prestations atteignaient 762 milliards, les cotisations 453 et les ITAF étaient du même ordre qu’en 2020, les contributions atteignant pour leur part 109 milliards.
**Cotisations imputées : contrepartie des prestations sociales fournies directement, c’est-à-dire en dehors de tout circuit de cotisations, par les employeurs à leurs salariés, ex-salariés et autres ayants droit. Il s’agit essentiellement des contributions au financement des retraites des agents de l’Etat que l’Etat se verse à lui-même (voir discussion plus loin).
***ITAF : impôts et taxes affectés, surtout CSG et TVA.

Au total, la protection sociale absorbait 14,7% du PIB en 1980, 30,2% en 2019 et 35,1% en 2020. Les cotisations représentaient 80% des ressources en 1980, et seulement 53% en 2020, cependant qu’en même temps le total des contributions publiques passait de 17% à 47%. A noter que ce pourcentage officiel de 53% de cotisations suppose que l’on comptabilise les cotisations imputées comme des contributions publiques, sinon le pourcentage s’inverse. On voit donc en tout état de cause l’importance en une quarantaine d’années de l’évolution vers le système béveridgien.

+Le financement des retraites et son évolution+

Il a suivi les mêmes tendances, à la fois quant à l’évolution et quant à l’importance des contributions publiques. En 2020, les prestations de la branche vieillesse/survie représentaient au total 353 milliards d’euros. Les chiffres officiels disponibles indiquent qu’en 2019 la part des cotisations dans les ressources n’était plus que de 64,5% après avoir été de 83% en 2003 et de 75% en 2013. Les 35,5% restants, représentant 125 milliards, étaient composés de 12,4% de transferts issus du Fonds de solidarité vieillesse,11,4% d’impôts et taxes affectés, 8,5% de transferts principalement de la CNAF et de l’Unedic, et 3,2% de produits divers.
Les documents officiels expliquent ainsi la nécessité de l’intervention financière de l’Etat: « l’existence d’une part de solidarité dans le système, au travers du minimum vieillesse et de la prise en charge forfaitaire des cotisations de retraite, au titre de la validation gratuite des périodes non travaillées, en cas de chômage ou d’arrêts de travail, pour le Régime général et pour les salariés agricoles, les politiques d’exonérations de charges sur les bas salaires, dont le périmètre s’est étendu aux cotisations de retraites complémentaires en 2019 ».
On voit en conclusion que la protection sociale dans son ensemble répond de plus en plus à un objectif de solidarité, laquelle justifie un financement par l’impôt et non pas seulement par les cotisations pesant sur le travail. Ce qui s’est traduit en 2020 par la mobilisation de 375 milliards au seul titre des ITAF et des contributions publiques, contre seulement 217 milliards neuf ans plus tôt, comparés aux 436 milliards de cotisations.
Quant aux seules retraites, si l’on avait voulu en 2019 que les cotisations financent 83% des coûts comme en 2003, il aurait fallu qu’elles rapportent, à la charge des salariés et surtout des employeurs, 65 milliards de plus ! Autrement dit, en ne couvrant que 64.5% des dépenses de retraites, le caractère assurantiel de ces dernières a été très sérieusement ébréché. L’argument de Laurent Berger, selon lequel le gouvernement confond à tort comptes publics et comptes sociaux, manque singulièrement en fait. On rappellera aussi qu’une partie substantielle des apports de l’Etat en CSG et TVA est due à la compensation financière de la suppression des cotisations sur les bas salaires, suppression motivée par les nécessités de compétitivité des entreprises. Ce sont donc les impôts qui permettent de ne pas augmenter les cotisations.
Laurent Berger, qui ne veut ni augmentation des cotisations, ni report de l’âge légal, ni baisse des prestations, finit d’ailleurs par estimer que la seule solution est …l’augmentation des impôts, qu’il préfère donc à celle du travail. Il en vient donc à se contredire en préconisant un recours accru au financement par les comptes publics. Il sait pourtant que distribuer suppose de commencer par produire…

+Le cas des régimes spéciaux+

C’est un exemple patent de l’imbrication totale du mode de financement des différents régimes retraites. Le Sénat en a fait une étude fouillée dans son rapport sur le projet de loi de finances 2022. Il en conclut que « la baisse, relative, des crédits dédiés à la mission « Régimes sociaux et de retraite » dans le présent projet de loi de finances ne saurait occulter l’important déséquilibre financier des caisses qu’elle subventionne. Cette situation délicate résulte tout à la fois d’un ratio démographique défavorable et de la permanence d’avantages spécifiques coûteux et insuffisamment financés par les cotisations. Compte-tenu de cette insuffisance, la diminution en valeur absolue du financement de l’État ne saurait présumer d’un désengagement à court-moyen terme ».
S’attachant à chiffrer les financements des retraites de la SNCF, de la RATP, du régime des marins et des mines, le Sénat retient en effet que le financement public fournit entre 60% et 82% de leurs ressources : 3,273 milliards d’euros sur un total de ressources de 5,193 milliards par exemple pour la SNCF. Ce qui est encore plus remarquable, les quatre régimes spéciaux ci-dessus reçoivent des contributions des autres régimes, et notamment de la CNAV, qui est le régime de l’ensemble des salariés hors régimes spéciaux et fonctionnaires : 5,616 milliards au total, dont 3,960 milliards pour la seule CNAV.
Autrement dit, les « comptes publics » chers à Laurent Berger sont mis à contribution pour combler les déficits des régimes spéciaux, mais aussi des régimes généraux comme la CNAV, cependant que la CNAV contribue elle-même à hauteur de presque 4 milliards aux ressources des régimes spéciaux ! L’intérêt de ces derniers (qui devrait être défendu par les syndicats) n’est-il pas que les ressources des régimes généraux viennent combler le déficit des comptes spéciaux, ce qui est l’objectif du recul de l’âge de la retraite, au lieu d’augmenter les prélèvements fiscaux ? Car il est incontestable que ce recul augmentera l’emploi, donc les cotisations[[Cette question fera l’objet d’une proche note.]].

Conclusion

La CFDT, avec l’ensemble des opposants à la réforme voulue par le gouvernement, joue contre ses propres intérêts et ceux de la nation. Les comptes sociaux ne sont qu’une partie des comptes publics et les financements de tous les régimes sont complètement imbriqués les uns avec les autres. C’est d’autant plus vrai pour les régimes spéciaux publics dont le financement ne peut pas reposer sur les cotisations faute d’un nombre suffisant de cotisants et aussi en raison d’avantages particuliers exorbitants. De façon générale la protection sociale, ce qui est aussi le cas des retraites, est passée d’un système assurantiel à un système où la solidarité domine. Et la solidarité repose sur les impôts payés par l’ensemble des acteurs économiques, et donc la production globale, elle-même fonction de l’emploi.

Note : Le COR « oublie-t-il » 35 milliards de dette de retraite de l’Etat ?

L’Institut Molinari critique l’estimation financière du déficit faite par le COR au motif qu’elle ne tiendrait pas compte des engagements pris par l’Etat à l’égard de ses fonctionnaires, qui nécessitent chaque année de combler par 35 milliards de recettes publiques le prétendu « déficit » des retraites de ses agents. L’argument est fondé sur le fait que ces retraites coûtent beaucoup plus cher que les dépenses du système privé.
Nous ne sommes pas d’accord avec cette analyse. L’Etat cotise effectivement en qualité d’employeur plus que les employeurs privés. L’écart est même très important : 28% des salaires dans le secteur privé, 72% des traitements des fonctionnaires (primes exclues). Le chiffre apparaît sous la rubrique « cotisations imputées » (voir ci-dessus) pour partie des 58 milliards signalés. Mais, comme le dit le COR qui conteste l’argument, “considérer que le taux de cotisation du privé doit être appliqué aux fonctionnaires de l’État est une convention qui suggère que le taux de cotisation implicite de l’État est illégitime et renvoie à des avantages particuliers dont bénéficieraient les fonctionnaires de l’État”, juge-t-il. Il estime ce mode de calcul non approprié car il “stigmatise indûment la générosité du régime de la fonction publique”. Critiquer cette générosité, relevée comme on l’a vu par le Sénat, est une chose – et nous sommes d’accord pour en accuser l’Etat -, dire qu’il n’en a pas été tenu compte est une autre chose. Or ces 58 milliards (qui ne concernent d’ailleurs qu’en partie les retraites des agents de l’Etat) figurent effectivement dans les comptes au titre des cotisations imputées payées par l’Etat en tant qu’employeur, et il ne s’agit donc pas d’un « déficit ».

 

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1 commenter

Laurent Guyot-Sionnest octobre 24, 2022 - 10:32 am

Intéressante note avec des chiffres éclairants
Intéressante note avec des chiffres éclairants

le point qui est discutable : « Car il est incontestable que ce recul augmentera l’emploi, donc les cotisations[1]. » »
Les premières réactions brutes des acteurs commenceront par entrainer une augmentation du chômage des jeunes et un ralentissement des progressions de carrière, et peut être une augmentation du chômage ou du non emploi des plus de 55 ans.
Pour que cette mesure entraine une augmentation de l’emploi, il faudra augmenter notre capacité à créer des emplois , qui est le point faible de l’économie française depuis des décennies et nous donne un taux d’emploi faible avec des redistributions massives , des prélèvements obligatoires et des déficits pour ne pas laisser des millions de personnes sans revenus.
Augmenter l’age de la retraite est nécessaire mais pas suffisant pour vraiment diminuer nos multiples déficits publics.

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