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Le coût du capital entrepreneurial – Partie 3

par Dominique Mercier
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Devant les limites des méthodes les plus classiques d’estimation du coût du capital, plusieurs auteurs ont tenté de créer d’autres modèles. Bien que présentant eux aussi des limites, ils ont le mérite d’approfondir et d’ouvrir des pistes de recherche sur un sujet trop souvent négligé par les économistes. C’est ce que montre une étude canadienne[[Le coût du capital entrepreneurial, Cécile Carpentier et Jean-Marc Suret, 4 novembre 2011]] sur le coût du capital entrepreneurial dont nous reprenons un grand nombre de points ici.

Un précédent article a montré les limites de la méthode du Capital Asset Pricing Model (CAPM), modèle classique d’estimation du risque pour les entreprises cotées. Le CAPM est inadapté pour les sociétés fermées car il prend seulement en compte le risque de marché et exclut le risque spécifique à l’entreprise. Il suppose la diversification parfaite des actifs de l’investisseur, or celle-ci est impossible pour l’entrepreneur. La Build Up Method, deuxième modèle que nous avons présenté, prend en compte le risque spécifique de l’entreprise via un empilage de primes mais il a recours à des estimations arbitraires qui le rendent peu probant.

Quoique difficilement applicables à large échelle pour le moment, il existe cependant d’autres méthodes intéressantes, présentées ci-dessous.

Les modèles à facteurs

Origine des modèles

Les modèles à facteurs sont en quelque sorte un mélange entre le CAPM et la Build Up Method. A l’origine, ils ont été construits devant l’incapacité du modèle classique CAPM à expliquer un grand nombre de rendements de marché.

Rappel de la formule CAPM

Selon le CAPM, le rendement d’un titre est la conséquence directe du risque de marché. Il dépend de la perception qu’ont les investisseurs des facteurs économiques extérieurs qui influencent un marché donné. Selon cette perception – indiquée par la prime de risque – et selon la volatilité du titre – indiqué par un coefficient nommé beta – le coût du capital sera plus ou moins élevé. Il est obtenu par la formule suivante :

Coût du capital = taux sans risque + prime de risque x beta

– Le taux sans risque est celui des Bons du Trésor ;
– La prime de risque est le surcroît de rémunération attendu du placement par rapport au placement sans risque.
– Beta est la sensibilité du titre aux évolutions du marché[[Ainsi le beta est égal à 1 si le titre de l’entreprise évolue exactement comme le marché, il est supérieur à 1 si le titre évolue en amplifiant les variations du marché (gains et risques plus élevés), il est inférieur à 1 si le titre évolue en atténuant les variations du marché (valeurs dites défensives).]].

Approfondissement du modèle grâce aux modèles à facteurs

Le CAPM échoue cependant à expliquer environ 30% des rendements de marché. En approfondissant, des auteurs (Fama et French) ont ainsi constaté qu’il y avait d’autres facteurs à prendre en compte :

– D’une part ils ont constaté que les titres de petites entreprises[[Petites capitalisations]] avaient en moyenne des rendements supérieurs aux titres de grandes entreprises[[Grandes capitalisations]].

– D’autre part, ils ont constaté que les titres dits de valeur avaient en moyenne des rendements supérieurs aux titres dits de croissance (les titres de valeur sont ceux qui ont un ratio élevé de la valeur comptable des capitaux propres rapportée à la valeur de marché[[C’est-à-dire ils se négocient en bourse à une valeur relativement basse par rapport à leur valeur intrinsèque. Ils ont un faible ratio valeur de marché/ bénéfice et distribuent des dividendes réguliers, c’est pourquoi on les appelle aussi titre de rendement.]], c’est l’inverse pour les titres de croissance[[À l’inverse des titres de valeur, ils se négocient à une valeur supérieure à leur valeur intrinsèque car le marché anticipe une forte croissance des bénéfices. Ces bénéfices sont généralement réinvestis plutôt que distribués en dividendes, les investisseurs misent donc sur la hausse des cours et des gains en capital.]].)

Pour tenir compte de ces deux phénomènes, les auteurs ont proposé en 1996 le Three Factors Pricing Model, qui ajoute à la formule classique du CAPM une prime de taille et une prime liée au ratio de la valeur comptable sur la valeur de marché. Il y a donc trois facteurs pour expliquer le rendement. Cependant, à la différence de la Build Up Method, ce modèle repose sur des bases purement empiriques, les différentes primes et les coefficients de sensibilité sont obtenus à partir de données historiques. D’après Fama et French, ce modèle permettrait d’expliquer environ 90% des rendements observés sur les principales bourses américaines. Certains économistes ont même proposé des méthodes plus poussées utilisant six facteurs au lieu de trois.

Une méthode de ce type paraît donc reposer sur des bases suffisamment solides pour l’estimation du coût du capital entrepreneurial. Cependant, compte tenu de l’importance des calculs et du manque de données dans le cas des sociétés fermées, son application pratique reste pour le moment limitée.

Probabilité et coût du capital

Il existe une autre méthode qui ne repose pas sur la comptabilisation de facteurs de risque, mais sur des lois de probabilité de réussite ou d’échec d’un projet donné[[Pour les entreprises inscrites en Bourse, le coût du capital ne tient pas compte du risque de faillites, d’une part parce que celles -ci sont très rares, et d’autre part car l’investisseur peut limiter ce risque par la diversification. Or, pour les petites entreprises non cotées, le risque de faillite est élevé.]]. Afin d’en tenir compte, certains auteurs ont créé des modèles pour calculer le coût du capital d’après les probabilités de faillite.

Ils n’exigent, en intrant, que l’estimation de la probabilité de survie de l’entreprise. Plus elle est faible, plus le coût du capital est important. Sur un panier d’entreprises d’un niveau de risque donné, la rémunération effective moyenne est égale au taux sans risque.

Le taux requis est donc trouvé en égalisant la formule suivante :

(1+Taux requis) = (1+ taux sans risque) / probabilité de survie

D’après les auteurs canadiens, ce modèle repose malheureusement sur une représentation beaucoup trop simplifiée de la réalité. Il existe beaucoup d’états intermédiaires entre la réussite et l’échec d’une entreprise. Des outils disponibles actuellement permettraient de mieux en rendre compte mais ils sont encore trop complexes à utiliser. Les auteurs considèrent néanmoins que cela constitue une piste de recherche prometteuse.

Si aucune méthode d’estimation du risque entrepreneurial ne semble satisfaisante pour le moment, c’est peut être aussi comme l’explique Frank Knight parce que les entrepreneurs agissent non pas en situation de risque mais en situation d’incertitude. A la différence d’une situation de risque, l’incertitude se définit justement comme l’impossibilité de calculer des probabilités, dans un contexte de rupture. C’est le cas lorsque l’entrepreneur agit alors que le marché pour ses futurs produits n’existe pas encore.

Estimer le « juste » coût du capital entrepreneurial est donc loin d’être simple. Quoique cette question ne sera peut-être jamais résolue, elle permet de se rendre compte des risques importants pris par les entrepreneurs et investisseurs. Elle laisse également deviner les effets néfastes d’une politique fiscale inappropriée, qui empêche la rémunération correcte du risque pris. Devant la difficulté actuelle des entreprises en démarrage à se financer, il semble qu’une telle prise de conscience soit nécessaire à nos gouvernants.

 

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