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La lutte de Mustapha Kemal contre l’islam, en Turquie, au siècle dernier

par Claude Sicard
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Les relations entre notre Président et son homologue turc n’ont pas cessé de se détériorer ces derniers mois, et l’affaire des caricatures du Prophète a particulièrement attisé les tensions. Emmanuel Macron a expliqué qu’il était de son devoir de défendre dans notre pays la liberté d’expression, et Recep Erdogan, qui s’érige en ardent défenseur de l’islam, a feint de ne pas comprendre la position du président français, accusant Emmanuel Macron d’être « le porte-drapeau de ceux qui veulent régler leurs comptes avec l’Islam et les musulmans ». Dans le discours télévisé qu’il fit, le 24 octobre dernier, Erdogan est allé jusqu’à s’interroger sur la « santé mentale d’Emmanuel Macron », disant à son homologue français : « Allez d’abord faire des examens de santé mentale ». L’Elysée répondit aussitôt en qualifiant les propos du président Erdogan d’inacceptables, et la France a rappelé son ambassadeur à Ankara.

On a donc d’un côté un président français qui s’affiche comme défenseur des Lumières, et, de l’autre, un dirigeant autocrate à la tête d’un très grand pays charnière entre l’Europe et le Moyen-Orient qui se veut être le guide d’un monde musulman composé aujourd’hui de deux milliards de fidèles. L’écrivaine française d’origine iranienne, Abnousse Shalmani explique que Erdogan ambitionne de devenir le leader de l’internationale islamiste.

Il faut donc rappeler ce que sont les Lumières, dont Emmanuel Macron s’est affiché comme un ardent défenseur dans l’interview qu’il a accordée le 31 octobre dernier à la chaîne al Jazeera, à l’Elysée, disant au journaliste qui l’interviewait : « Je crois à ce qui est le projet des Lumières, des valeurs que nous portons ». Les Lumières sont un mouvement philosophique européen du XVIIIe siècle qui a placé les connaissances intellectuelles et scientifiques au-dessus des croyances religieuses et de la foi, en réaction aux oppressions politiques et religieuses auxquelles avaient été soumis les hommes dans les siècles passés. Les philosophes des Lumières, parmi lesquels on cite toujours en premier Montesquieu et Voltaire, ont voulu combattre l’obscurantisme et l’irrationnel. Cela a conduit, en France, à la chute de la royauté et à la Révolution française, puis à la Déclaration des droits de l’homme de 1789. A partir de là, la France est devenue un pays démocratique, la démocratie étant un système politique caractérisé par le fait que ce sont les hommes, eux- mêmes, qui élaborent les lois auxquelles ils vont se soumettre, non plus des lois, donc, dictées de l’extérieur. Le philosophe Marcel Gauchet a fort bien caractérisé ce phénomène en disant dans son ouvrage « Un monde désenchanté » que notre société a, alors, fait sa « sortie de religion ».

Par contraste, le monde musulman dont Recep Erdogan se fait aujourd’hui l’ardent défenseur, est caractérisé par le fait que les régimes politiques ont l’islam pour religion d’Etat. Et, dans l’islam, les hommes sont régis par les lois que Dieu a fixées aux hommes par le message délivré au VIIe siècle au prophète Mahomet, en Arabie. L’islam régit toute la vie privée des individus ainsi que la vie publique, le coran jouant en somme dans ces sociétés le rôle de code civil et de code pénal.

Il faut donc bien voir quel est le changement de cap auquel a procédé, en Turquie, Recep Erdogan, depuis qu’il se trouve à la tête du pays, c’est-à-dire depuis mars 2003. Il a progressivement réislamisé le pays, détricotant peu à peu l’œuvre de Mustapha Kemal qui avait choisi comme nom « Atatürk », qui signifie « Père de la Turquie ». Atatürk s’était employé à éradiquer l’islam dans son pays, considérant que cette religion était la cause même du déclin de l’empire ottoman, un empire qui avait été dans les siècles passés redoutablement puissant, avec des territoires immenses.

L’œuvre qu’a accomplie Mustapha Kemal a été phénoménale, et elle est, malheureusement, par trop méconnue dans notre pays. Il parait donc important, au moment où nous avons à lutter contre l’islamisme, de la faire connaitre à nos compatriotes, car elle est particulièrement instructive.
L’œuvre de Mustapha Kemal fut colossale, ce chef d’Etat étant parvenu à opérer dans son pays des transformations fondamentales dans les domaines politique, culturel, et social ; et il est même parvenu à changer l’écriture ainsi que la façon de se vêtir de ses concitoyens.

Mustapha Kemal, né en 1881, fut vainqueur, en avril 1915, du corps expéditionnaire franco-anglais qui avait débarqué à Gallipoli, et, après que la Turquie fut vaincue dans le conflit de la première guerre mondiale, elle se trouva démantelée. Ce sont les Grecs qui furent chargés d’occuper la Turquie, les Anglais et les Français s’occupant, eux, du Moyen-Orient. Mustapha Kemal entreprit de les en chasser, et il organisa la résistance. Clandestinement, il regroupa les forces militaires disponibles en Anatolie, et ce, en totale désobéissance aux ordres du calife. Contre toute attente, il parvint à libérer la Turquie de l’occupation grecque, bien que la Grèce ait déployé sur place des forces très importantes. Porté, ensuite, à la tête du pays, il renégocia, en 1923, le traité qui avait démantelé la Turquie (le traité de Sèvres), et, par un nouveau traité (traité de Lausanne), la Turquie put conserver, finalement, toute l’Anatolie et la Thrace.

Mustapha Kemal entreprit, alors, de moderniser complétement son pays. Il procéda à toute une série de réformes radicales pour éradiquer l’héritage du passé, considérant que l’imprégnation islamique de la société rendait impossible tout progrès. Benoist-Méchin, dans son ouvrage « Mustapha Kemal ou la mort d’un empire », rapporte les propos tenus par Mustapha Kemal sur l’islam, dans un accès de colère : « Depuis des siècles, les règles et les théories d’un vieux cheikh arabe et les interprétations abusives de générations de prêtres crasseux et ignares, ont fixé à la Turquie tous les détails de la vie civile : l’islam, cette théologie absurde d’un bédouin immoral, est un cadavre putréfié qui empoisonne nos vies ».

Mustapha Kemal voulut, donc, occidentaliser complètement son pays. Il abolit le sultanat, puis ensuite, en 1922, le califat. Ce fut, évidemment, extrêmement difficile car le califat, dans le monde de l’islam, est une institution sacrée, le calife étant le successeur naturel du Prophète. Ainsi, en 1923, put-il doter la Turquie d’institutions démocratiques, faisant de ce pays une république. Et il en fut le président jusqu’à sa mort, en 1938.

Parmi les grands reformes opérées par Mustapha Kemal, il faut mentionner :
– La fonctionnarisation des imams et la mise en place de la Diyanet, un secrétariat d’Etat rattaché au premier ministre chargé de contrôler les imams et leurs prêches ;
– La réforme de la justice, la Turquie adoptant le code civil de la Suisse, le code pénal de l’Italie et le code de commerce de l’Allemagne ;
– La réforme de l’enseignement : toutes les écoles religieuses furent fermées : on les remplaça par des écoles primaires et secondaires à caractère laïc :
– La réforme de l’écriture et de l’orthographe, les caractères arabes étant remplacés par les caractères latins ;
– La réforme du statut de la femme : égalité totale avec les hommes et accord aux femmes du droit de vote ;
– Adoption du système métrique pour les poids et mesures ;
– Adoption du calendrier grégorien qui compte les années à partir de la naissance du Christ, et non plus, comme précédemment, de l’hégire ;
– Création d’un cadastre ;
– Adoption obligatoire, en matière d’habillement, des tenues occidentales, et remplacement du fez par un chapeau ou une casquette ;
– Adoption de la façon de se saluer, dans la rue, à la manière occidentale : la poignée de main ;
– Interdiction de déclamer des poèmes en arabe et d’effectuer des danses de style oriental ;
– Transformation en musée de la basilique Sainte Sophie, qui était devenue une mosquée ;
– etc.

La liste est tout à fait impressionnante. Ce fut une révolution complète : politique, culturelle et sociale, et Atatürk n’hésitait pas à s’engager lui-même dans tous ces combats. Par exemple, pour le changement de coiffure des hommes, un changement obligatoire, il dit à ses concitoyens : « Rejetons le fez qui est sur nos têtes comme l’emblème de l’ignorance et du fanatisme. Adoptons le chapeau, la coiffure du monde civilisé ! » Et il procéda, aussi, pour les jeunes générations, à une révision de l’Histoire de son pays, plaçant la Turquie dans le prolongement de la Mésopotamie, cette très grande civilisation antique qui est à la genèse de la culture humaine.

La réislamisation de la Turquie par Recep Erdogan

Recep Erdoganl, né en 1964, milita activement dans les rangs du parti islamique, le MSP, dirigé par Necmettin Etbakan, et il fut ainsi élu maire d’Istanbul en 1994. Il fonda ensuite son propre parti, l’AKP, une formation islamo-conservatrice, et il entra comme député à la grande Assemblée nationale. En 2003, il devint le chef du gouvernement, et, en Août 2014, après 10 années passées à la tête du gouvernement, il fut élu président de la république, le premier président élu au suffrage universel. Il entreprit alors de rejeter l’héritage d’Atatürk et de promouvoir un islamo-nationalisme. Les militaires s’opposèrent très vivement à lui, se faisant les ardents défenseurs du kémalisme, mais, finalement, Erdogan réussit à les maîtriser, parvenant à faire échouer leur dernier coup d’Etat, en 2016. Il procéda alors à des purges extrêmement sévères : une centaine de milliers de fonctionnaires furent remerciés, dans les différentes administrations, et il y eut de très nombreux emprisonnements.

Erdogan, il faut s’en souvenir, avait fait l’objet d’une condamnation à six mois de prison, en 1997, pour « incitation à la haine », ayant repris, lors d’un meeting à Siirt, cette citation fameuse du poète turc Ziya Gökalp : « Les minarets seront nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées seront nos casernes et les croyants nos soldats ». Il a fait ériger, à Istanbul, une immense mosquée pouvant accueillir 63.000 fidèles, la mosquée Camlica d’architecture seldjoukide, qui domine la ville. Et, tout récemment, il a reconverti la basilique Sainte Sophie en mosquée, le 21 juillet 2020, alors que Mustapha Kemal en avait fait un musée. Le ministre de la culture, en Grèce, déclara : « Le nationalisme dont fait preuve le président Erdogan ramène son pays des siècles en arrière » ; et, de son côté, la Pape François s’en est dit « très affligé ».

Pour ce qui est de l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne (le dépôt de candidature remonte à avril 1987) on ne peut que constater les intransigeances du nouveau sultan : il n’a pas cessé de refuser les réformes indispensables exigées par Bruxelles, si bien que les négociations ont été finalement gelées le 24 novembre 2016, en raison de désaccords profonds avec Bruxelles sur un grand nombre de dossiers : reconnaissance du génocide Arménien, respect des droits de l’homme, liberté de la presse, Chypre partagée en deux, etc.

Au plan économique, la Turquie rencontre actuellement de nombreux problèmes : une croissance faible, une inflation à deux chiffres, un taux de chômage très élevé, et une monnaie qui se dévalue. La Turquie n’aura sans doute pas d’autre solution que de recourir bientôt au FMI, ce qui serait très humiliant pour Recep Erdogan.

Au plan politique, l’AKP, aux dernières élections municipales, a perdu la ville d’Istanbul ainsi que la capitale, Ankara, où c’est un kémaliste qui l’a emporté. Recep Erdogan dont la réélection n’est pas certaine en 2023, joue simultanément deux cartes : le nationalisme et l’islam. Il s’est rapproché du MHP, le parti ultra nationaliste turc, et il s’affiche comme le leader, dans le monde musulman, de l’islam sunnite, face à l’Iran chiite. On le vit, dans un meeting électoral en Anatolie, en 2015, brandir un coran en langue turque, et déclarer : « Ma vie est guidée par le livre saint. C’est ainsi que j’ai vécu, que je vis et que je vivrai ».

Ce retour de la Turquie à l’islam est-il le gage d’un avenir meilleur pour ce grand pays ? Mustapha Kemal qui avait fait de la Turquie un Etat moderne, nous donne la réponse : il avait tranché le débat de la façon suivante, dans une grande réunion publique : « Il est possible que cette religion ait convenu à des tribus du désert, mais pas à un Etat moderne orienté vers le progrès ».

Claude Sicard, consultant international

 

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3 commentaires

zelectron décembre 1, 2020 - 9:48 am

Erdogan ? mais c’est lui le multi-névrosé !
Il a donc réussi à transformer en dictature un pays qui était devenu démocratique, sa soif de pouvoir crée plus de pauvreté que de richesses. Il faut noter que les investissement occidentaux sont au point mort, même ceux des allemands qui font le dos rond en regrettant probablement d’avoir accueilli une communauté turque trop importante sur son territoire.

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zelectron décembre 3, 2020 - 10:54 am

Citation Atatürk
« Depuis plus de 500 ans, les règles et les théories d’un vieux cheikh arabe, et les interprétations abusives de générations de prêtres crasseux et ignares ont fixé, en Turquie, tous les détails de la loi civile et criminelle. Elles ont réglé la forme de la constitution, les moindres faits et gestes de la vie de chaque citoyen, sa nourriture, ses heures de veille et de sommeil, la coupe de ses vêtements, ce qu’il apprend à l’école, ses coutumes, ses habitudes et jusqu’à ses pensées les plus intimes. L’islam, cette théologie absurde d’un bédouin immoral, est un cadavre putréfié qui empoisonne nos vies. « .

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moulin juin 26, 2023 - 7:23 am

L’avis de Mustapha Kemal sur l’Islam
L’avis de Mustapha Kemal sur l’Islam
« Depuis plus de 500 ans, les règles et les théories d’un vieux cheikh arabe, et les interprétations abusives de générations de prêtres crasseux et ignares ont fixé, en Turquie, tous les détails de la loi civile et criminelle. Elles ont réglé la forme de la constitution, les moindres faits et gestes de la vie de chaque citoyen, sa nourriture, ses heures de veille et de sommeil, la coupe de ses vêtements, ce qu’il apprend à l’école, ses coutumes, ses habitudes et jusqu’à ses pensées les plus intimes. L’islam, cette théologie absurde d’un bédouin immoral, est un cadavre putréfié qui empoisonne nos vies. « .

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