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La découverte du mur de Bercy

par Bernard Zimmern
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Dans ma proposition au Ministre, puis à Laurent Fleuriot, il me semblait que la participation de quelques parlementaires intéressés par le sujet, ne pouvait que contribuer à donner plus d’impact à ces auditions, et à préparer le terrain législatif pour les mesures que le Ministre ne pouvait manquer de proposer au Parlement.
Nous en étions convenus lors de notre bref entretien dans le cabinet de Laurent Fleuriot après le déjeuner sur l’herbe.

Aussi quelle ne fut pas ma surprise de recevoir, après un silence de près de 10 jours qui m’apparut comme une éternité (aucune réponse à mes appels téléphonique ou fax), une lettre de mission signée de Laurent Fleuriot, mais où toute participation parlementaire avait été soigneusement supprimée.

J’étais encore loin de réaliser le peu de cas dans lequel l’exécutif tient le législatif et combien, dans notre système parlementaire, le législatif a peu de poids, sinon de constituer une pépinière de futurs ministres ce qui fait que les ministres en place leur accordent encore quelque attention ; mais de là à les inviter à une commission pour préparer les décisions de l’exécutif, il y a un océan. Sans le réaliser, j’avais transgressé le sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs renforcé au profit de l’exécutif par la Constitution de 1958.
Il m’était indiqué dans l’ordre de mission, que R. était celui chargé d’organiser les auditions, et je sollicitai sur-le-champ un entretien pour faire connaissance et tenter de faire réparer l’omission des parlementaires.

L’entretien fut d’une froideur totale, R., dont ce n’est pas l’initiale réelle, était d’une suffisance parfaite du haut de son mètre soixante et m’avait fait comprendre, dès la première minute, que pour moi, manant venant de la société civile, c’était vraiment une faveur si le gouvernement de la France, en sa personne, me faisait la grâce de me recevoir.
En fait, si j’avais été accepté, c’est, comme l’ordre de mission le mentionnait, non parce que j’avais été un inventeur relativement connu, ou comme créateur d’entreprise, ou dès 1970 un émissaire du gouvernement français chargé d’aller étudier les politiques de l’innovation aux USA, ou comme auteur de livres à succès sur ces sujets, mais en tant que « ancien haut fonctionnaire ». De tous mes titres, celui d’avoir été sur les bancs de l’ENA cinquante ans plus tôt, avait été l’élément déterminant.

Quant à R., l’étendue de son expérience était absolument affligeante ; sorti de Sciences Po, entré à la Banque de France aux études économiques après un complément de formation dans une université américaine, il ne raisonnait entreprise qu’à travers les livres et théories économiques, dont son esprit était manifestement encombré.
Mais il avait un aplomb monstre et l’art de décocher des flèches réduisant au silence ses adversaires. Et je n’ai compris que bien plus tard que, rentré dans la bureaucratie par la petite porte, il lui fallait pour rentrer dans l’administration de Bercy, y gagner ses galons en éliminant ce qui pouvait en remettre en cause la domination.
D’un naturel plutôt bon enfant, je fis l’ânerie, dès notre premier entretien, de vouloir faire ami-ami, d’essayer de le comprendre, de le dignifier au lieu au contraire de l’écraser, le seul langage que ce genre d’individu respecte.

Une lettre assez à cheval que je lui envoyai à la veille du week-end, pour essayer d’obtenir que des parlementaires soient invités aux auditions, acheva de rendre nos relations exécrables, malgré un dernier entretien à la veille des vacances, que je tentais de rendre des plus cordial.
Mais peu importe les relations personnelles, pour autant que le travail soit fait, et que les bonnes solutions triomphent.

Renaud Dutreil, devant présenter son projet de loi sur la création d’entreprise en octobre, il fallait que les trois auditions prévues soient terminées mi-septembre.
La première fut donc fixée au début juillet, ce qui nous donna à peine 10 jours pour la préparer.
Cette réunion se tint dans la même salle où nous avait rejoint le ministre, qui donne par des portes fenêtres sur un escalier de quelques marches, du gravier et la pelouse jusqu’à la Seine.
Cadre idéal pour cette fin de journée d’été, permettant de faire connaissance dans la détente de la verdure et de cet hôtel particulier.

Laurent Fleuriot avait réussi à réunir le ban et l’arrière-ban du ministère des Finances : ZZZ, chargé de mission auprès d’Alain Lambert ministre du budget, TTT au cabinet de Mer, un personnage certainement très important, ou se prenant comme tel, car relié en permanence pendant toute notre réunion par un écouteur et un portable avec Bercy ; et trois fonctionnaires issus de la Direction de la Législation Fiscale.
Rétroactivement, peut-être aurait-il fallu agresser tout ce beau monde en leur racontant comment le ministère des finances se fourvoie depuis des décennies dans les mesures prises pour encourager la création d’entreprise.
Si cela était à refaire aujourd’hui, nous les aurions certainement confrontés au lamentable échec que constituent les politiques françaises d’aide à l’innovation et de développement des emplois.

Et nous aurions certainement demandé à quelques uns de nos plus brillants créateurs de start-up de venir leur dire comment l’ISF les avait fait fuir hors de France.
Mais, habitué à enseigner et convaincre et non pas à agresser, je commis la seconde erreur de vouloir démontrer, en abordant cette présentation de façon quasi-scientifique, avec d’abord une présentation par l’une de ses principaux responsables des principaux résultats de l’étude internationale GEM permettant de situer la position de la France en matière de création d’entreprises, puis une déposition d’un X-Ponts issu du capital-risque, montrant que faute de création de start-up, le capital-risque ne savait où investir et se réfugiait dans la seule activité rentable qui est le LBO, racheter des entreprises pour les revendre.
Cette première audition n’eut jamais de suite.

Lorsque deux semaines plus tard, j’eus obtenu qu’un grand expatrié ISF vienne de Bruxelles où il s’était réfugié, pour expliquer comment l’I.S.F. l’avait fait fuir, R. nous téléphona quelques heures avant pour annuler l’audition. Le prétexte : il était convoqué à Bercy par le ministre.

Ce n’est que sur l’intervention pressante de l’ami qui, à notre demande, téléphona à Laurent Fleuriot, que R. fut sommé de maintenir l’audition en la déplaçant à Bercy.
Ce fut l’une des rencontres les plus passionnantes en présence du seul R., arrivé avec une demi-heure de retard. Heureusement que nous avions fait venir plusieurs amis et experts, et la soirée se termina dans un grand restaurant… sans R.
Celui-ci avait apparemment compris, car la troisième audition fut sans histoire ; nous fîmes comparaître plusieurs témoins, notamment un expert issu du capital-risque, qui confirma de façon péremptoire que les Business Angels ont le monopole du financement de la création d’entreprise aux USA ; sans eux, pas de financement.
Et le vice-président de l’iFRAP vint enfin expliquer comment aux USA, le système fiscal, à commencer par la création en 1960 des Sub S, sont à l’origine de l’extraordinaire développement de BA.

Mais R. n’était pas seul à nous torpiller.
Lors d’une réunion de polytechniciens s’intéressant à la création d’entreprise, il me fut donné l’occasion quelques semaines plus tard, de présenter nos conclusions sur l’indispensabilité des Business Angels, en présence de deux camarades, l’un au cabinet de Dutreil, collègue de R., et l’autre au Trésor.
Ils me confièrent que la Direction de la Prévision qui centralise les études économiques pour le ministère des Finances, avait déjà fait des recherches, suite à nos auditions, sur les BA et qu’il n’était pas question de les favoriser par des mesures fiscales, car ce n’est pas l’approche française d’encourager les grandes fortunes à s’engager dans les petites entreprises.

C’est en vain que nous essayâmes dans les semaines suivantes, d’établir un lien avec cette direction pour leur expliquer que 99% de BA américains ne sont pas des grandes fortunes, mais de la classe moyenne, qui préfère passer ses week-end à aider d’autres à s’enrichir, tout en s’enrichissant eux-mêmes, plutôt que de rester devant leur télévision.
Je n’ai jamais autant ressenti ce sentiment d’impuissance devant une bureaucratie qui de façon totalement anonyme, et en refusant le dialogue, déforme les réalités pour vous torpiller.

Coup de pied de l’âne, quelques semaines plus tard, le camarade du cabinet m’envoyait un message incendiaire, pour nous dire que le cabinet avait interrogé les patrons de la Small Business Administration, lors d’une invitation à Paris, et que celui-ci avait nié la moindre influence des Sub S sur le développement des BA. Ce n’est que quelques mois plus tard que j’eus l’occasion de lui montrer, à travers une demi-douzaine de preuves et d’indices glanés au cours d’une dizaine d’années de recherches, que son honorable correspondant ne savait pas de quoi il parlait, malgré sa position.

Mais fin septembre, dans les délais prévus, nous adressâmes à Renaud Dutreil le compte-rendu des auditions sur les Business Angels fièrement titré : « Les Investisseurs Providentiels clé de l’emploi » ; nous réaffirmions ainsi solennellement ce que j’avais dit à Renaud Dutreil lors de notre déjeuner sur l’herbe de la rue de Lille le 5 juillet : pas de création d’entreprises et donc pas de création d’emploi sans un développement des BA et pas de développement sans des incitations fiscales profondes, notamment au niveau de l’ISF. Nous le réaffirmâmes publiquement lors d’un colloque organisé à l’Assemblée Nationale, avec la fondation Concorde et la présidence de Jean-Louis Debré, fin octobre 2002.
Mais en pure perte.

Lors d’une grand messe bureaucratique à Lyon à laquelle participa Raffarin et dont le maître de cérémonie fut Nicolas Beytout, le patron des Echos, et où discourait tout ce que la France connaît comme organismes qui vivent du chômage, Renaud Dutreil présenta son plan en 40 points : pas un mot sur les Business Angels, mais une resucée de tous les poncifs qui n’ont jamais marché en y ajoutant la grande trouvaille de son cabinet : la société à responsabilité limitée au capital de un euro, qui a fait la risée de tous les vrais experts. Le ministère Raffarin, sur le sujet le plus important du quinquennat, commençait mal.

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