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L’explosion entrepreneuriale derrière la montée des inégalités aux USA

par Bernard Zimmern
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La dénonciation par Thomas Piketty, Joseph Stiglitz et les égalitaristes de la montée des inégalités à partir des années 1970–1980 est intéressante car elle force à s’interroger sur des évolutions majeures de nos sociétés, même s’il faut en donner des explications très différentes.

Eux y ont vu de façon simpliste un transfert de richesse des plus pauvres, dont la part de revenu ou le patrimoine se réduit, vers les plus riches, dont la part au contraire augmente.

Ce qu’ils n’ont pas vu ou pas voulu voir, c’est qu’aux deux extrêmes de la courbe de Lorenz[[Courbe cumulée des revenus (ou des patrimoines à en partant des plus pauvre vers les plus riches)]], ce n’étaient plus les mêmes personnes d’une enquête statistique à l’autre.

Nous avons maintenant les preuves statistiques que cette montée des inégalités est due à deux phénomènes concomitants :

– l’apparition d’une immigration de plus en plus forte aux États-Unis (pourtant environ moitié de celle de l’Europe) qui explique la chute du patrimoine ou de revenus du quintile ou décile le plus pauvre, les pauvres de 1980 étant remplacés par des immigrants, pendant que les pauvres de 1980 montaient dans l’échelle des revenus et des fortunes

– et d’autre part l’apparition à partir de 1970-1980 d’une révolution entrepreneuriale caractérisée par une augmentation du nombre d’entrepreneurs et des emplois créés par eux de plus de moitié en 25 ans. Elle explique la montée des revenus et du patrimoine du 1% le plus riche plus rapide que celui de la moyenne de la population. Mais les entrepreneurs qui se qualifient dans le « 1% » des plus hauts revenus en 2013 ne sont pas tous les mêmes qu’en 1989. Ceux qui sont dans le 1% de 2013 y sont montés en créant des entreprises et des emplois.

Ce sont ces deux mouvements que nous allons maintenant détailler.

I. Le rôle de l’immigration dans la montée des inégalités

La mesure des inégalités est généralement effectuée à partir de la courbe de distribution dite de Lorenz.
Si on ajoute à la distribution de la population d’origine représentée par la courbe en gras, une population immigrée qui ne possède rien (ou avec des faibles revenus), représentée par l’extension de la base vers la gauche, le coefficient de Gini, qui était initialement A/(A+B), devient (A+C)/(A+B+C). Ce Gini est plus élevé que le Gini d’origine[[En effet, le complément à 1 du Gini est le rapport de la surface B à A+B dans le premier cas, de B à A+B+C dans le second et il a donc diminué puisque le numérateur de la fraction est resté le même et que le dénominateur a augmenté.]]. Donc, les inégalités paraissent être accrues.

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L’effet de l’introduction de populations pauvres se reflète de la même manière dans les autres méthodes de mesure des inégalités, par exemple le rapport entre le revenu à la limite du 9ème et du 10ème quintiles et le revenu à la limite du 1er et du 2ème quintiles. De même, le critère qu’affectionnent les égalitaristes est le total des revenus reçus (ou du patrimoine détenu) par les 10% les plus riches qui a augmenté puisque 10% couvrent plus de personnes dans une population qui a été augmentée des immigrants.

La zone des non revenus ne s’étend pas seulement par l’immigration, elle peut aussi s’étendre si, à population inchangée, les revenus des plus pauvres diminuent. Ceci semble être le cas en France où le Gini des revenus serait passé de 0,29 à 0,31 de 2009 à 2013 parce que le nombre des chômeurs a considérablement progressé et que, malgré les aides sociales, avoir un emploi reste le déterminant en matière de revenu.

Ce que cette analyse doit rappeler est que le facteur déterminant de revenu ou de richesse est d’avoir ou non un emploi. C’est ce que viennent chercher les migrants d’Afrique plus que les aides sociales. C’est ce que sont venus chercher les migrants latinos vers les USA.

L’enjeu majeur de notre société n’est pas plus d’égalité mais plus d’emplois.

T. Piketty et la plupart des personnes concernées par les inégalités sont généralement à sa recherche vers le haut de la courbe de Lorenz et la mesurent par des indicateurs tels que le pourcentage de la richesse ou des revenus appartenant ou reçu par le fragment supérieur de la population, que ce soit 10, 1% ou de 0,1%.
Mais peu de considération a été donné à la partie inférieure de la courbe de Lorentz, le quintile (20%) le plus bas.
Les chiffres du Census montrent que, dans la période 1980-2010, environ 30 millions de personnes ont immigré aux États-Unis, la moitié d’entre eux ultra pauvres, latinos ou africains.
Mais 30 millions de personnes représentent la moitié d’un quintile américain (la population des États-Unis est de 310 millions).

Ainsi, entre un quart et la moitié du quintile inférieur de revenus de la population des États-Unis a été remplacé par les immigrants ultra-pauvres dans cette période.

Néanmoins, quand on regarde le revenu du quintile le plus bas en 2014 en dollars constants, tiré du Census, il a à peine bougé entre 1980 et 2010 (passant d’une moyenne de 16,677 à 16,204. Un professeur du Cornell, Richard Burkhauser, a même pu montrer qu’il aurait en fait considérablement augmenté.)
Et le taux de chômage aux États-Unis n’avait pas augmenté : il était d’environ 5% en 1970 et aussi 5% en 2007, à la veille de la récession de 2008.
L’économie américaine a donc été en mesure de remplacer entre un quart et la moitié de son plus bas quintile de la population par les nouveaux immigrants, pauvres pour la plupart, sans voir une baisse des revenus de ce quintile.
Ce qui est arrivé est que les États-Unis ont créé durant cette période 50 millions de nouveaux emplois et ont pu donner aux immigrés des emplois, peut être mal payés, mais des emplois, la principale composante de la richesse.

Et ces immigrants ont sorti de la misère leurs villages d’origine, les statistiques montrant que les envois d’argent privés à destination des PVD dépassent 40 milliards/an, plus que l’investissement de la Banque Mondiale
Dans la même période, les États-Unis ont transformé le Japon, un pays en développement, en un pays développé en y injectant technologie et capital et ont commencé à faire de même avec la Chine.

Le lien entre inégalités et immigration est apparent sur la longue période comme il est visible sur le graphique suivant :

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Des enquêtes plus détaillées permettent de montrer que pendant les 30 années de 1980 à 2010 dénoncées par le égalitaristes comme des années de honte avec accroissement des inégalités, ces trente années sont au contraire trente années d’un miracle (qui s’est aussi produit partiellement en Europe) pendant lesquelles 30 millions d’immigrés dont 15 millions prouvés comme ultra pauvres et peu éduqués ont trouvé un emploi aux États-Unis grâce aux 50 millions d’emplois supplémentaires (2,5 fois l’emploi total marchand français) créés par les entrepreneurs et où la plus grande partie de ces 50 millions a été créée par des entrepreneurs, partis le plus souvent de rien, et qui sont devenus riches pendant que ceux qui étaient riches en 1980 redescendaient dans l’échelle des revenus et des patrimoines.

Il est intéressant de noter que l’immigration vers l’Europe en provenance de pays non européens s’affiche autour de 2 millions par an d’après l’OCDE pour les dix dernières années (avec l’Allemagne et l’Espagne 600.000 immigrés chacun) et serait donc supérieure à l’immigration américaine en valeur absolue, et même en valeur relative par rapport à la population (360 millions en Europe contre 310 aux États-Unis).

II. L’explosion de l’entrepreneuriat aux États-Unis de 1989 à 2013

Résumé. Nous nous sommes servis d’une enquête, Survey of Consumer Finances, SCF, faite tous les trois ans par la Federal Reserve américain ; elle comporte la réponse à 400 questions posées à 6.000 ménages, 1.500 ménages étant choisis dans le 1% des revenus les plus élevés de l’IRS, le département des impôts.
Des questions permettent de savoir si la personne interviewée est ou non dirigeante active d’une entreprise qu’elle possède, et si elle a créé cette entreprise. C’est ce sous-ensemble que déjà deux chercheurs, Cagetti et De Nardi, avaient étudié en 2006.
C’est ce sous-ensemble que nous avons à notre tour étudié en y ajoutant une réponse, la X3111, qui porte sur le nombre d’emplois dans l’entreprise qu’ils ont ainsi créée et en la croisant avec d’autres réponses comme les montants investis par l’entrepreneur dans l’entreprise ou la valeur qu’il estime être sa part au moment de l’enquête.
Nous avons vérifié que le nombre d’emplois créés par ces entrepreneurs, autour de 60% de l’emploi total américain, était cohérent avec d’autres enquêtes publiques sur l’emploi.
Bien d’autres enseignements peuvent être tirés de cette enquête comme par exemple de montrer que ces entrepreneurs sont aussi ceux qui financent les entreprises des autres.

Voici les premiers résultats :

A. Une explosion entrepreneuriale

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Nous n’avons encore exploré que l’enquête 2013 mais il apparaît clairement deux catégories d’entrepreneurs.

L’enquête SCF ne sépare pas dans ses résultats les réponses des deux séries d’enquêtés mais il est facile à partir des statistiques de l’IRS de définir chaque année les seuils de revenus à partir desquels on est classé dans le 1% des revenus les plus élevés et de s’en servir dans la colonne du SCF qui donne le revenu du ménage enquêté pour séparer les entrepreneurs qui appartiennent au 1% et ceux qui n’y appartiennent pas.

1. La première différence qui bondit littéralement de l’enquête est le nombre moyen de salariés par entreprise suivant que celle-ci est détenue et gérée par un entrepreneur du 1% ou par un entrepreneur qui n’en est pas.

Dans le premier cas en 2013 le nombre de salariés moyen par entreprise est de cinquante alors qu’il est de trois seulement dans le cas opposé.

On voit immédiatement apparaître une distinction à laquelle on pouvait s’attendre, qui est que les entrepreneurs du 1% sont des entrepreneurs qui ont créé leur entreprise avec un objectif de lancer un produit ou un service innovant, de portée nationale ou internationale, une entreprise par opportunité comme le désigne l’enquête GEM (Global Entrepreneurship Monitor), alors que les autres sont essentiellement des entreprises créées par nécessité, c’est-à-dire pour donner à son créateur et un ou deux membres de sa famille un travail qui leur permette de couvrir leurs besoins financiers.

Ce deuxième type d’entreprise correspond aux entreprises dites de proximité, qui sont au service d’une clientèle locale, que ce soient des commerces ou des artisans.

Il est intéressant de noter que les totaux des emplois dans ces deux catégories sont à peu près équivalents, (37 millions pour la proximité, 31,5 millions pour l’opportunité) les emplois de proximité dépassant légèrement les emplois créés dans les sociétés créées par opportunité.

2. On retrouve également une donnée connue des économistes qui est que les entrepreneurs du 1%, les entrepreneurs qui sont à la tête donc d’entreprises avec beaucoup plus de salariés et qui ont donc eu un développement beaucoup plus rapide comme on le vérifiera ultérieurement, représentent seulement 7,5% du total des entreprises (770.000 sur 10,4 millions)

Ceci rejoint une constatation faite dans la plupart des économies qui est que moins de 10% des entreprises ont une croissance au-delà de leur période de création, généralement entre 6 et 8%, alors que toutes les autres stagnent avec l’emploi qu’elles atteignent dès leurs premières années.

Le 1% est donc un bon guide pour séparer les entreprises de croissance des autres. Et nous allons nous en servir.

3. Une autre différence entre les deux catégories est que l’âge moyen des entreprises gérées et détenues par le 1% est nettement plus élevé pour cette dernière catégorie.

En effet elle est de 15 ans pour les entreprises qui n’appartiennent pas au 1% et 19,5 ans, pour celles qui appartiennent au 1%.

Nous allons voir ultérieurement qu’en effet la croissance des secondes est beaucoup plus lente au départ que celle des premières, ce qui les fait arriver à maturité plus tard.

4. Il est enfin intéressant de noter que l’investissement par salarié est à peu près identique à 31.000 dollars, que ce soit pour les entreprises du 1% ou pour les autres. On peut faire l’hypothèse, à vérifier, que la plupart des entreprises créées étant des entreprises de services, l’investissement par salarié est directement lié aux salaires, que la part de matériel productif y est faible, à la différence de ce qui se passerait si nous avions affaire à des aciéries, des cimenteries ou des verreries.

B. Seconde constatation fondamentale : on ne crée pas une entreprise en étant dans le 1%, c’est la création d’entreprise qui permet d’y accéder.

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Tableau donnant le pourcentage des entreprises dont le dirigeant est ou n’est pas dans le 1% en fonction de l’âge de l’entreprise dans l’enquête 2013.

C. Troisième constatation fondamentale : le décollage des entreprises du 1 %, celles créées par opportunité, est beaucoup plus long que pour les entreprises créées par nécessité (proximité) :

Dans les graphiques ci-dessous, nous avons cumulé les emplois créés par chaque type de propriétaires (ceux appartenant au 1%, ceux n’y appartenant pas) en cumulant les emplois en fonction de l’âge à partir des entreprises les plus jeunes. On y voit clairement que le démarrage de l’emploi dans les entreprises du 1% est très lent et s’accélère seulement vers les vingt-troisième vingt-quatrième années alors que pour les entreprises de proximité, le démarrage est immédiat et voit sa vitesse de croissance se réduire à partir de la huitième année et plafonner à trente-quatre.

Pour les emplois du 1%, on retrouve un phénomène déjà décrit par David Birch, l’inventeur de la démographie des entreprises vers 1980 et qui montrait que la plupart des entreprises importantes mettent au moins quinze ans à s’épanouir.

Les succès rapides de firmes comme Facebook ou eBay ne doivent pas cacher que ce sont des exceptions et toutes les autres firmes importantes que je connais, sans mentionner ma propre expérience, est qu’il est normal de devoir attendre vingt ans ou plus pour voir ses efforts récompensés.

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COMMENTAIRES COMPLEMENTAIRES

1. Quelles peuvent être les raisons de l’explosion entrepreneuriale américaine ?

• Il faut noter que la taille des entreprises américaines, d’après The Economist, a plafonné en 1970 et n’a cessé ensuite de se réduire par le jeu de la sous-traitance et la spécialisation.
Ceci a entraîné une prolifération de petites entreprises, résultats de la désagrégation des géants.

• À ceci s’est ajouté le succès de la réforme de 1958 introduisant notamment la Sub chapter S qui concilie la limitation de responsabilité de la société de capitaux avec les avantages fiscaux de la société de personnes (de la double taxation de la C-corporation, taxée au niveau de l’entreprise à 35% et dont les actionnaires sont à leur tour taxés sur le revenu au moment de la distribution des dividendes). Cette réforme a mis longtemps à pénétrer mais le nombre de sociétés commençant à utiliser cette forme ou la LLC (équivalente pour les partenariats) a commencé à exploser vers 1980.

2. Vers la fin de l’explosion entrepreneuriale ?

Il est inquiétant de constater que les emplois créés par les entrepreneurs se sont réduits de 2007 à 2010 passant de 75,5 à 70,5 millions, mais qu’ils continuent de chuter passant à 68,5 en 2013.

Serait-ce le fait des campagnes anti inégalités et de l’augmentation du taux des plus-values passant de 15% à 20% avec Obama ?

À suivre…

 

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