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Faire carrière en Suisse

par Claude Sicard
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La CPME de la Haute Savoie se scandalise de voir une société genevoise faire de la publicité en France pour attirer des travailleurs français dans la confédération helvétique. Une société de recrutement de Genève vient, en effet, de distribuer dans les boulangeries de la vallée de l’Arve des sacs à pain portant une publicité qui incite les travailleurs de la région à venir « faire carrière en Suisse ». Jean-Michel Delaplagne, le président de la CPME de la région, est ulcéré.

Les sociétés suisses manquent, en effet, de personnel car le taux de chômage chez notre voisin est extrêmement faible : 2,7% seulement, à présent. Il est impossible à un pays de se situer en dessous d’un tel taux. Et, comme l’on sait, chaque jour quelque 330.000 frontaliers se précipitent en Suisse pour y travailler, dont un peu plus de 100.000 Français.

Notre voisin est un pays qui a une Economie très dynamique, mais les observateurs de la vie économique en France paraissent l’ignorer : ils ne nous en parlent jamais. Ce pays, tout proche, qui n’est pas dans l’Union Européenne, a sa propre monnaie, une monnaie très forte d’ailleurs, il est très prospère et a une balance commerciale toujours positive. Comment cela peut-il se faire ? Une bonne question, à laquelle on aimerait bien que nos économistes patentés s’intéressent, pour nous dire les enseignements que nous pourrions en tirer.

La réponse à cette interrogation se trouve fondamentalement dans les conditions dans lesquelles s’exerce la vie économique de ce pays : une économie libérale avec une législation du travail toute simple, les accords exemplaires passés en 1937 entre les entreprises et les syndicats, au niveau des branches, dits « Paix du travail », voulant que les conflits se règlent pacifiquement. Et une législation fiscale qui est loin d’être confiscatoire. La législation du travail se résume à quelque 400 articles seulement, contre un peu plus de 4.000 dans le cas de notre pays, et il n’y a pratiquement jamais de grèves. Une étude de l’Institut allemand WSI a montré, par exemple, que dans la période 2005-2012, on a compté un jour de grève pour 1.000 habitants en Suisse, contre 139 en France, notre pays venant en queue de peloton dans cette enquête.

La clé de la réussite de la Suisse vient de l’importance de sa production industrielle qui est la plus forte, ramenée par habitant, de tous les pays de l’OCDE. Il en résulte un PIB/tête d’un peu plus de 80.000 dollars, le PIB per capita le plus élevé d’Europe, le Luxembourg mis à part. Le droit du travail suisse s’en tient à quelques règles simples à respecter : égalité homme-femme, durée du travail de 45 h/semaine, 4 semaines de congés payés par an, et des conditions de rupture du contrat de travail simplifiées. Il est prévu, en effet, 7 jours de préavis en période d’essai, puis un mois la première année, ensuite deux mois de la seconde année de travail à la dixième, et, enfin, trois mois de préavis pour des durées de travail supérieures à 10 années. Et la législation n’oblige pas les employeurs à accorder des indemnités de licenciement, ni à devoir mentionner la cause de la rupture du contrat. Les conventions collectives prévoient, par groupes d’entreprises, ou par branche, des conditions sensiblement plus favorables, mais cela ne concerne que la moitié des salariés du pays. Les heures supplémentaires sont compensées de diverses manières : soit par rattrapage, soit par des indemnisations financières, ceci selon les entreprises sans que la législation ne s’en mêle.

Voilà, donc, un pays qui a une législation du travail non-paralysante pour les entreprises et qui permet à celles-ci de s’adapter aisément à la conjoncture. Cela n’’empêche nullement les travailleurs étrangers de se précipiter dans ce pays pour venir y occuper un emploi, la prospérité du pays faisant que les salaires y sont très élevés. A qualification égale, on cite des salaires qui seraient presque le double de ce qu’ils sont en France.

Au moment où les gilets jaunes militent pour que l’on adopte en France le système de référendum d’initiative populaire de la Suisse, ce que les gilets jaunes nomment le « RIC », le référendum d’origine citoyenne, il serait bon qu’ils réclament également que l’on adopte dans notre pays la législation du travail de la Suisse, et pourquoi pas aussi sa législation fiscale ? Et même, en allant encore plus loin, le système d’acquisition pour des étrangers de la nationalité suisse ? On sait que pour un étranger voulant acquérir la nationalité suisse ce système prévoit une longue période d’adaptation, à l’issue de laquelle des enquêtes minutieuses sont menées pour déterminer si les habitants du canton où réside le dit étranger estiment que le nouveau venu est, ou n’est pas, méritant de la nouvelle nationalité qu’il souhaite acquérir.

Notre pays aurait, en somme, bien des réflexions à mener sur l’exemple helvète. Il n’a pas, malheureusement, pour tradition de s’inspirer d’expériences étrangères : bien au contraire, il a incontestablement dans son ADN l’aspiration à montrer au monde la voie. La France a été longtemps, en Europe, le pays le plus puissant, puis sa Révolution de 1789, avec sa fameuse déclaration des droits de l’homme et du citoyen, a fait tache d’huile : elle s’enorgueillit d’être le « pays des droits de l’homme ». Mais, depuis les dernières victoires militaires de Napoléon, il n’y a plus eu, sur le plan militaire, que des échecs, et avec la perte de toutes ses colonies, et sa honteuse défaite militaire en 1940, la France a aujourd’hui une audience dans le monde qui s’est beaucoup affaiblie. Les étrangers se plaignent, unanimement, de ce que les Français ne soient pas modestes : il faut rappeler, ici, cette pensée très juste de la Rochefoucauld : « La modestie est au mérite ce que les ombres, dans un tableau, sont aux figures : elles lui donnent de la force et du relief ».

La France doit revoir son modèle de développement, et la révolte des gilets jaunes aurait dû être l’occasion à ne pas manquer pour le faire : malheureusement, Emmanuel Macron, avec le grand débat qu’il a lancé, dans la précipitation, pour répondre à cet important mouvement de mécontentement, a omis de le faire : au lieu d’interroger ses concitoyens sur la question de savoir dans quel type de société ils souhaitent vivre, il leur a demandé ce qu’il faut faire pour améliorer leur sort dans le cadre du modèle actuel, un modèle hybride entre un véritable libéralisme économique et une économie socialiste. Combinant ces deux systèmes, ce modèle fonctionne très mal : à l’évidence, il est à présent à bout de souffle, comme l’indiquent les clignotants économiques qui, les uns après les autres, sont passés au rouge.

 

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2 commentaires

zelectron avril 11, 2019 - 10:26 am

Les CPME de la Savoie et de la Haute Savoie vous annoncent :
Il faut que les 2 Savoie fassent sécession pour adopter les us et coutumes suisses ainsi il n’y aura plus de problèmes !

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de TRENTINIAN juin 2, 2019 - 11:33 am

Monsieur
Vos articles sont toujours passionnants, parfaitement observés et crédibles. Je les lis avec délectations mais aussi tristesse constatant la dégradation de notre pays. Par contre votre article sur la Suisse est largement erroné je pense faute au manque d’information locale. Il faudrait des pages et des pages pour résumer la réalité helvétique, pays très particulier et incompréhensible de l’étranger. Simplement je vous donnerai si cela vous intéresse quelques indications. Quel intérêt y a t’il à vivre dans un pays où, certes les salaires sont un peu plus élevés qu’ailleurs, mais où le coût de la vie est vertigineux (environ le double de la moyenne européenne). Exemple, les loyers sont indécents, les assurances maladies à la charge du contribuable, etc. Le Suisse en général n’est jamais propriétaire de son bien immobilier à cause d’un système aberrant d’hypothèques énormes pratiquement jamais amorties et non inscrite comme par hasard dans la dette du pays. La balance commerciale est certes positive, mais pour avoir un chiffre exact il conviendrait d’enlever les chiffres d’affaires colossaux de toutes les multinationales étrangères de trading ou autres au forfait qui depuis des cantons où elles ne payent pratiquement pas d’impôts ont des sociétés boîtes aux lettres qui faussent ainsi largement la statistique. La majorité des biens sont importés, permettant de véritables rentes de situation et de monopoles menées par des importateurs pratiquant des marges indécentes ou ne répercutant jamais les différences de change. Ceux-ci protégés par des règlements douaniers dignes du pire protectionnisme (ex: un magazine dont la valeur faciale est d’environ 5 EUR en Europe peut coûter jusqu’à 17.- CHF en Suisse soit 3 fois son prix public originel). Votre article stipule que les sociétés suisses manquent de personnel faute à un taux de chômage bas. Rien n’est plus faux, c’est l’incompétence ou l’absence de bon professionnel qui incite à une recherche externe au canton.
La situation des frontaliers est un scandale. C’est une main d’oeuvre de qualité introuvable en Suisse, d’où leur présence. Ils sont le plus souvent sous payé et leur impôt est prélevé sur leur salaire (ex: cela rapporte au seul Canton de Genève la bagatelle d’1 milliard de francs suisses). Ils n’ont pas droit au chômage, servant ainsi de soupape aux statistiques. Le salarié suisse est aussi largement taxé que l’européen moyen. A contrario le secret bancaire étant maintenu pour les résidents, les contrôles fiscaux inexistants je vous laisse imaginer ce que cela permet aux nantis.
En substance, c’est l’apport colossal des étrangers, de leur savoir faire, de leurs fortunes, des capitaux étrangers de tous ordres depuis des décennies grâce à une fiscalité de forfaits strictement réservé pour eux qui a permis le développement du pays. Par contre les scandales financiers en tous genres et une lâche politique erronée ont largement ternis l’image de ce pays qui commence a inquiéter sérieusement le citoyen lambda. Etc, etc. Meilleures salutations.

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