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Ethique sanitaire et rationalité économique

par Gérard Dosogne
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Gary Becker (Professeur à l’Université de Chicago et Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel en 1992) a été l’un des premiers économistes à élargir le champ de l’analyse économique (et surtout microéconomique) à des comportements sociaux. J’ai eu le plaisir d’assister il y a une dizaine d’années à l’une de ses conférences données au centre de l’Université de Chicago à Paris.
Le sujet était troublant et la démonstration imparable. La rétribution des donneurs d’organes sauverait de nombreuses vies permettant une offre bien plus abondante d’organes dans un domaine où, à cause d’une éthique humanitaire de gratuité (le corps humain ne pouvant être l’objet de commerce), il y a un grand déficit d’organes à greffer, et donc de mortalité induite qui pourrait être évitée si on appliquait des règles économiques et comportementales au « marché » des dons d’organes.
J’ai donc tenté d’appliquer la même approche à la gestion du virus du COVID-19.

Au début de la pandémie, les gouvernements avaient un choix à faire : soit « laisser filer » la pandémie et atteindre à terme une immunité collective, avec en contrepartie un nombre élevé de décès (estimé à 400 000 par le président Macron ou même 500 000 par Fergusson) mais aussi une économie non confinée continuant à tourner à peu près normalement, ou soit instaurer un confinement drastique, avec un coût économique majeur, mais un nombre de décès réduit.
Le Conseil Scientifique étant composé d’une majorité de médecins, appuyé par quelques sociologues (que je ne me souviens pas d’avoir entendu), mais sans la présence d’un seul économiste, la décision ne pouvait être que la deuxième option.Je me suis donc demandé combien coûtait cette décision, et plus précisément le coût d’une vie sauvée, face au désastre économique. Je doute que ce calcul ait été fait, dans un pays où le président prend des décisions avec un principe de « quoi qu’il en coûte », mais sans en faire le calcul.
Le coût de cette décision n’est pas facile à appréhender, et j’ai pris une mesure simple : la chute attendue du PIB de la France en 2019, soit environ 10%. En 2019, le PIB s’élevait à 2 427 milliards d’euros, donc j’estime ce coût à 242,7 milliards d’euros. (On pourrait prendre 9% + le 1% de croissance que l’on n’a pas eu)
A la fin de 2019 combien de vies (et quelles vies) ont été sauvées et à quel prix ?
Sans déconfinement, on parlait de 400 000 décès. Il y en aura 60 000 fin 2020, donc on peut estimer que l’on a sauvé 340 000 vies
Le coût par personne sauvée est donc de 242,7 milliards divisés par 340 000, soit 713 800€.
On note que la médiane d’âge des décès est de 84 ans et que 80% des décès touche des personnes de plus de de 65 ans, souvent avec des co-morbidités. Combien d’années de vie ont-elles été gagnées ? Il est aussi à noter que la vie moyenne en EHPAD est de 2,3 ans…
A ce coût exorbitant il faut ajouter que cette « note » est déjà et sera payée par les jeunes qui ne trouvent pas de travail ni de stage, ne peuvent plus se rencontrer, s’amuser, s’aimer…
Les assureurs mesurent la valeur d’une vie en tenant compte du revenu perdu en prenant pour horizon l’espérance de vie. Il saute aux yeux que le coût a été très élevé. Fallait-il le faire ? Fallait-il endetter la Fiance à un niveau dangereux pour le futur ?
Combien les Français vont-ils payer encore et encore en 2021, 2022 cette décision ?
Presque tous les pays ont suivi une stratégie de confinement plus ou moins sévère. Sauf la Suède, que l’on peut regarder comme benchmark de la stratégie de non-confinement (même si une prudence sociale était recommandée).
Au 17 décembre, le nombre de morts par 100 000 habitants s’élevait en Suède à 76,3 et en France à 88,76 (source : John Hopkins – 17 déc. 2020 : nb of death : France 59 472 for 67 millions inhabitants ; Sweden 7 802 death for 10,2 millions inhabitants).
D’autre part, le PIB de la France baissera de 9% en 2020 (projection Banque de France déc. 2020) contre une baisse de 4,6 % prévue pour la Suède. Le chiffre suédois étant particulièrement touché par la forte baisse des exportations. Du simple au double, sans perturbations sociales importantes.
Alors on a tout faux ? Il serait sans doute très utile que le Conseil Scientifique comprenne quelques économistes….

 

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4 commentaires

Bertrand nouel décembre 23, 2020 - 12:18 pm

Mais combien aurait coûté le laisser-faire?
Pour s’en tenir au seul calcul économique (que l’on taxe immédiatement et mondialement de sordide), il y a quand même une inconnue, à savoir combien aurait coûté le laisser faire, et là on pourrait jouer aux apprentis sorciers. Une étude (déjà ancienne) de la Banque mondiale et de l’ONU avertit qu’une pandémie pourrait « coûter » 71 millions de morts et 3.000 milliards de dollars…
Le problème c’est qu’on ne sait rien de ce qui se passerait si on cessait de lutter. D’accord avec Comte-Sponville pour dire que l’homme ne supporte plus la mort et que faire passer la santé avant tout est une erreur philosophique. Mais cela n’empêche pas qu’il faille lutter toujours et toujours. Laisser faire pourrait multiplier énormément la propagation de la maladie, sans même tenir compte de sa létalité. Et alors nous ne parviendrions plus à fabriquer le nombre de vaccins nécessaires dans le temps voulu. Les pertes économiques seraient énormes, à la fois quant au coût des vaccins et aux conséquences économiques pour 7 milliards d’individus. Dans ces derniers il y a aussi des pays pauvres incapables de se défendre sans la solidarité des pays riches, qui seraient, comme c’est déjà le cas actuellement, fournis les derniers en vaccins…Ne jouons pas à l’apprenti sorcier, la Suède a vite changé sa stratégie, et n’oublions pas qu’il s’agit d’un pays avec une densité très faible d’habitants.

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gerard dosogne décembre 24, 2020 - 1:51 pm

objectif de mon papier
Ce n’est pas de dire que ce qui a été pris comme décision , i.e. le confinement était bien ou mal , mais de faire remarquer que l’étude économique n’a pas été faite, à mon avis, ou alors si elle l’a été , n’ a jamais été révélée. Par personne: ni presse , ni gouvernement , ni opposition … Et je trouve cela dommage de prendre des décisions sans avoir « the full picture » . Maintenant , l’étude brève que j’ai faite est évidemment incomplète et sans doute que d’autres aspects économiques doivent etre pris en compte , l’objectif du papier , je me répète , est de montrer que tous ces aspects n’ont ni été étudiés ni pris en compte dans les décisions . Si on fait une analyse plus micro économique , combien a couté la fermeture des commerces non essentiels , alors que des études sanitaires indiquent maintenant que ces commerces ne génèrent pas de propagation du virus ? Ce que je regrette c’est qu’il n’y a pas d’économistes dans le comité scientifique ( alors qu’il y a des sociologues) . J’aurais bien vu Jean Tirol et Philippe Aghion…
qui m’auraient donné plus confiance dans les décisions!

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gerard dosogne décembre 24, 2020 - 2:03 pm

densité de population: aucun impact
La densité est un critère tres peu fiable , prenant en compte des déserts et des zones tres peuplées. … Le densité des USA est de 34/km2 , France 105,Pays bas 413 et Taiwan 632.
Il n’y a aucune corrélation entre densité et nombre de décès….
La Suède possède une faible densité de population sauf dans les zones urbaines (1,5 % du territoire), où vit 87 % de la population (1 437 personnes par km2).

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zelectron janvier 4, 2021 - 12:31 pm

équilibrer le conseil scientifique
Il serait sans doute très utile que le Conseil Scientifique comprenne quelques économistes…. : mais pas que !

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