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Crowdfunding : pourquoi c’est une fausse solution

par Dominique Mercier
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Un sujet qui mérite d’être abordé est celui du crowdfunding, présenté aujourd’hui par tous les médias comme la solution qui va permettre de répondre aux problèmes de financement des start-up. Même s’il est encore trop tôt pour juger des bienfaits ou méfaits du crowdfunding, on sait déjà qu’il ne répond que de manière très partielle aux besoins des entreprises, notamment sur le plan de l’accompagnement.

Devenant de plus en plus à la mode, le crowdfunding est un mode de financement via une plateforme Internet dédiée, où l’entrepreneur fait appel à un grand nombre de personnes, sans l’aide des acteurs traditionnels. Il existe en fait quatre modes de financement par le crowdfunding : le don, la prévente[[Ou le don contre don. Par exemple quelqu’un veut acheter une machine qui fait des bières coûtant 20.000 euros, un souscripteur accepte de payer 10 euros pour aider à l’achat de la machine et quand la machine sera acquise et en fonctionnement, la personne recevra une bouteille de bière.]], le prêt et la prise de participation en capital. Ce mode de financement peut selon les plateformes s’appliquer à tous les types de projets : caritatif, social, d’entreprises, etc. Or, si les dons restent stables, le montant des prêts et de levée en capital ont plus que doublé, du fait notamment de certaines évolutions notables dans ce mode de financement.

En ce qui concerne le prêt par crowdfunding, il y a eu en septembre 2014 un décret ouvrant la porte aux prêts aux entreprises sans passer par une banque[[Pour la première fois, des particuliers peuvent prêter de l’argent avec intérêts, dans la limite de 1.000 euros par investisseur et un million d’euros par projet.]]. C’est le plus gros de la finance participative d’aujourd’hui puisqu’ils constituent presque deux tiers des montants levés (soit 85 millions levés au premier semestre 2015 sur un total de 133 millions). Si cela constitue une bonne évolution dans l’absolu, rappelons néanmoins que le prêt en tant que tel introduit toujours une forte contrainte financière pour l’entrepreneur, puisqu’il doit rembourser le capital et verser des intérêts. D’une certaine manière, elle comporte également plus de risque pour le prêteur dans la mesure où, contrairement à un investissement en capital, il n’a pas accès aux comptes de l’entreprise. Le montant prêté par un individu ne peut en effet dépasser 1.000 euros, envoyer ces documents à chacun des petits souscripteurs occasionnerait trop de frais administratifs pour les plateformes.

En ce qui concerne l’equity crowdfunding (participation au capital) il y a eu également des évolutions puisque désormais, le plafond de levée est passé de 100.000 à un million d’euros pour un projet. Au premier semestre 2015, ils représentent 24 millions d’euros et les premières prévisions pour 2015 indiquent que le montant total sur l’année avoisinerait les 120 millions d’euros, ce qui n’est pas négligeable. Mais en réalité, on constate que les deux tiers de ce montant concernent en réalité des levées de fonds pour des promoteurs immobiliers, ce qui n’a donc rien à voir avec le financement d’amorçage.

Les promoteurs immobiliers disposent de fonds propres mais doivent en effet également emprunter, puisque lorsqu’ils décident un projet immobilier, tous les appartements n’ont pas été vendus, et ils sont payés par les acheteurs aux différentes étapes : rez-de-chaussée, premier étage, deuxième étage, etc. Cela présente un inconvénient majeur pour obtenir des prêts bancaires puisque la banque demande des garanties, ce qu’il est difficile de fournir lorsque 60% des appartements n’ont pas encore été vendus. Ce besoin de financement est néanmoins devenu très attractif pour les plateformes de crowdfunding puisqu’ils offrent des intérêts assez élevés : entre 8 et 12%, pour une échéance relativement courte d’environ deux ans. À ce titre, on peut citer notamment les plateformes WiSeed et Anaxago, qui, n’arrivant pas à recueillir suffisamment de fonds, depuis un an se sont lancées à toute vapeur dans l’immobilier.

On est donc très éloigné du financement de la start-up et encore plus de la start-up innovante. Au total, le financement par equity crowdfunding hors immobilier représente donc moins de 40 millions d’euros en 2015, et il faut bien se rappeler que par comparaison, les business angels britanniques investissent 1,5 milliards par an.

On note également que la dimension d’accompagnement qui est tellement primordiale pour les start-up est dans le cas du crowdfunding réduite à presque rien. Pour le comprendre, il faut s’intéresser au mode de fonctionnement des plateformes d’equity crowdfunding :

Parmi les plus gros acteurs de l’equity crowdfunding, Wiseed et Anaxago[[Parmi les autres plateformes importantes, il y a également « happy capital » et « smart angels ».]] par exemple, disposent respectivement d’environ 16.000 et 30.000 souscripteurs potentiels dans leurs fichiers. Dans la pratique ils font seulement faire le descriptif le plus complet possible des dossiers qui leur sont présentés. Ensuite cette description est envoyée à la totalité de leur fichier, parmi lequel un certain nombre de personnes vont souscrire, avec une limite individuelle de 100000 euros par investisseur, mais qui est rarement atteinte puisque la moyenne de souscription est de 3.900 euros. Ensuite l’organisme d’equity crowdfunding va créer une SAS (il y a donc un écran) qui va investir dans l’entreprise grâce aux fonds apportés par les multiples souscripteurs.

Étant donné le grand nombre de souscripteurs, il y a un travail administratif colossal, c’est pourquoi les plateformes d’equity crowdfunding prennent un taux non négligeable pour payer leurs salariés. Ainsi Anaxago et WiSeed se font rémunérer de trois manières :

– Taux de 8 à 12% de la levée de fonds ;
– Abonnement de service : taux fixe annuel pendant 10 ans ;
– Rémunération de 20% de la plus-value quand elle survient.

Si les équipes des plateformes de crowdfunding peuvent être compétentes, leurs profils et leurs contraintes sont donc très éloignées de celles d’un business angel indépendant. Ils se retrouvent dans l’obligation de traiter un grand nombre de dossiers, et un très grand nombre de souscripteurs pour survivre. Leur rémunération est essentiellement fixe, donc sans rapport avec les performances des entreprises. Non seulement ils ne sont pas bénévoles et n’investissent par leur propre argent comme les business angels, mais en plus leur personnel est rémunéré pour s’occuper des questions administratives et non pour le suivi stratégique de la start-up. Ainsi le business model peut fonctionner pour les plateformes d’equity crowdfunding elles-mêmes mais in fine il est inévitable que les petits investisseurs vont perdre.

Par ailleurs, contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’y a pas nécessairement besoin d’une foule (« crowd ») pour relancer l’investissement dans les start-up et restaurer le maillon fondamental de transmission entre les anciens chefs d’entreprise et les nouveaux. En réalité, un faible vivier d’anciens entrepreneurs mais qui soient véritablement dynamiques peut suffire. Si l’on regarde ce qui se passe Outre-manche, on constate en effet que seuls 2.000 britanniques investissent plus de 100.000 livres via l’EIS, mais ils sont responsables de plus de 500 millions de livres d’investissement annuel, soit la moitié du total.

Cette révolution supposée sauver les PME ne correspond donc que très partiellement à leurs besoins. Les nouvelles orientations du gouvernement découlent donc, non pas d’une véritable réflexion, mais bien d’un effet de mode. Elles présentent également l’avantage d’être « politiquement correctes » car elles ne consistent pas en un « avantage donné aux riches », mais tout au contraire en une sorte de « capitalisme populaire ». Si le crowdfunding est une bonne approche pour recueillir des dons à visée philanthropique, il ne résoudra que partiellement les problèmes des jeunes entreprises à forte croissance.

 

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4 commentaires

Anne Saint Léger - Financeutile.com février 2, 2016 - 8:21 am

Merci pour votre article
Bonjour,

Merci pour cet article qui met en avant des aspects du crowdfunding trop rarement relayés par les médias. Je vous rejoins sur de nombreux points.

L'equity crowdfunding est aujourd'hui principalement axé vers l'immobilier par les acteurs que vous citez. Ils en font d'ailleurs maintenant leur "spécialité" et les projets de startups ne récoltent sur leur plateforme qu'une part minoritaire des fonds. Cela signifie-t-il pour autant que toutes les plateformes délaissent le financement de l'amorçage ? Non, il reste encore fort heureusement des plateformes d'equity crowdfunding qui continuent à faire du financement d'entreprises innovantes, leur spécialité.

Vous soulignez aussi l'importance de l'accompagnement des startups après la levée de fonds et l'incapacité des plateformes que vous citez à répondre à cette problématique, car davantage centrées sur la survie de leur propre modèle économique plutôt que sur le développement des startups financées. Je partage totalement votre vision sur cette nécessité d'un accompagnement dans la durée des entreprises financées pour accroître leur taux de succès. La levée de fonds est une des étapes pour réussir mais surtout pas la finalité.

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Olivier - Happy Capital février 2, 2016 - 1:40 pm

Les bonnes raisons d'investir en crowdfunding avec Happy Capital.
Bonjour, je découvre votre article, qui présente balaye à l'évidence l'univers du financement participatif.
Je note que vous avez pris en exemple deux plateformes de crowdfunding dont leurs modes de fonctionnement différent sensiblement du nôtre chez Happy Capital
En effet, sur notre plateforme, l'approche se veut sensiblement différente sur de nombreux aspects à savoir :

– pacte d'associés et en direct sans création de holding, bref la transparence est garantie,
– aucun abonnement de service : taux fixe annuel pendant 10 ans et ce contrairement à d'autres,
– absence de quelque rémunération sur la plus-value lors des cessions,
– Happy Capital engage ses propres fonds lors de chaque opération réussie,
– taux à 8% de la levée de fonds

Nous sommes enfin le partenaire exclusif de la Caisse d'Epargne au travers du programme Neo Business
Venez découvrir nos projets sur http://www.happy-capital.com

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CathyCourbevoie mars 11, 2016 - 7:12 pm

N'oubliez pas la prévente….
Si effectivement le crowdfunding ne résoud pas tous les problèmes de financement des start-up.
Pour celles qui fabriquent des objets connectés, la pré-vente a un double avantage: 1.Prouver aux investisseurs qu'il y a un marché conséquent, et 2. Lever des fonds pour fabriquer la première version de leur produit. Cela permet de démarrer bien plus vite que dans l'ancien monde, ou de nombreux innovateurs français devient s'expatrier après s'être pris des refus en cascade pendant 2 ans de financiers hypra conservateurs.

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François GRIESMAR juin 4, 2017 - 5:29 pm

Crowdfunding : pourquoi c’est une fausse solution
Même si le financement participatif n’est pas la panacée, il n’en reste pas moins dans certains cas le seul moyen de démarrer un projet lequel sera parfois à l’origine d’une entreprise. Cet outil pallie le refus des banques de prendre un minimum de risques quand il s’agit de TPE, voire de PME : prêter des milliards à la Grèce à fonds perdus – mais pas pour tous – les intéresse visiblement plus que d’avancer 10’000 euros à une jeune pousse. Conseil en propriété intellectuelle (PI) indépendant, j’ai vu plusieurs entreprises devenir mes clients parce qu’un financement participatif leur avait permis de financer, entre autres, la protection de leurs marques ou d’autres droits de PI. On doit être conscient que la  » mode  » et de réelles réussites du financement participatif sont notamment dues à la défaillance des banques, lesquelles sont perçues par les petites entreprises (après des expériences amères et répétées) comme des monstres froids et rapaces dont on ne peut rien attendre de bon.

Aussi, tout en partageant votre approche libérale de l’économie et vos critiques de l’étatisme français, j’aimerais lire DES (car il y a de quoi faire des livres) articles sur l’attitude néfaste des banques vis-à-vis des TPE et des PME, comme le montrent les quelques exemples suivants :
– coût croissant du moindre service (ex : facturation à un prix dément d’attestations basiques et standard à fournir dans certains cas) ; dans le cas de mon cabinet français ;
– aucune rémunération de l’argent en dépôt sur les comptes de ma société alors que je n’ai jamais été à découvert depuis sa création il y a bientôt 5 ans ; le plus  » beau  » est de me faire payer des frais pour caution sur un dépôt bloqué de 7’300,- euros constituant une garantie financière exigée dans mon métier sans par ailleurs rémunérer ce dépôt qui contribue pourtant à alimenter la trésorerie de la banque ;
– facturation croissante de frais imaginaires ; par exemple, le mois dernier,  » ma  » banque m’a prélevé 90,- euros pour  » frais d’actualisation juridique de votre dossier  » : bien évidemment, en dépit de mes demandes instantes, la banque est incapable – et pour cause – de m’expliquer à quoi ceci correspond ;
– refus de consentir à toute aide élémentaire, ce qu’a vécu un ami dont l’entreprise a toujours été saine financièrement depuis des années : une fois, devant verser à une URSSAF quelconque une avance d’un montant inhabituellement élevé ce qui lui créait un problème de trésorerie ce mois-là, cet ami a demandé un découvert exceptionnel (en fournissant toutes les explications utiles) temporaire pour le mois concerné ; refus brutal et sans appel de la banque et mon ami a dû puiser dans ses économies personnelles pour assurer ce dépannage : belle application du dicton populaire  » Quand on a besoin de rien, il(elle) est là  » !
– absence de réelle concurrence entre les banques : ceux qui vous disent  » vous n’avez qu’à changer de banque  » ne connaissent pas le problème ; je me suis renseigné de manière assez approfondie et puis affirmer que, pour une petite entreprise, la seule conséquence assurée d’un changement de banque est un affreux désordre dans les relations avec les clients, créanciers et administrations, soit des heures de travail seulement pour éviter des catastrophes : et lorsqu’une banque propose un  » paquet  » a priori intéressant, il arrive que ce produit soit mal ficelé ou encore qu’il soit supprimé 2 ou 3 ans après ; le parjure est d’ailleurs un composant essentiel de l’attitude de maintes banques vis-à-vis de leurs  » clients « …

Bref, en France, le rapport de force entre les banques et les TPE et PME est totalement déséquilibré, ce qui est économiquement néfaste : on est là typiquement dans la perversion du libéralisme, à savoir la liberté du renard dans le poulailler. Curieusement, je ne vis pas la même chose en Suisse où j’exerce aussi une activité professionnelle économiquement modeste : ma banque ne me matraque pas tout en étant un énorme groupe aussi intéressé par le profit (chose parfaitement normale) que  » ma  » banque en France.
Il serait intéressant de savoir si mon impression reflète la réalité comparée des 2 pays et, dans l’affirmative, pourquoi il en est ainsi et quels remèdes on pourrait envisager pour limiter en France cette brutalisation des TPE et PME par les banques.

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