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Cheminots de tous les pays, unissez-vous !

par Bertrand Nouel
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« Proletarier aller Länder, vereinigt euch ! ( Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ) ».
Le fameux Manifeste de 1848 ajoutait : « Vous n’avez rien à perdre, si ce n’est vos chaînes ! ».

Cent soixante dix ans plus tard, les cheminots allemands et d’autres pays répondent : « on aimerait bien ». Mais leurs homologues français, pourtant conduits par les descendants du grand Marx, répondent : « surtout pas ! » (idem à la RATP). Paradoxe facile à déchiffrer, car les Français ont beaucoup à perdre à se comparer aux « prolétaires » des autres pays.

Le cheminot allemand a dû souffrir de l’unification des régimes publics et privés, de coupes claires dans le personnel de la Deutsche Bahn, de durées du travail beaucoup plus longues (pas de RTT non plus), et surtout d’une retraite à 65 ans, passant bientôt à 67, voire 69 ans, ce qui le contraint, s’il veut prendre sa retraite plus tôt, à compenser la décote qu’il subit par un emploi dans le privé jusqu’à 74 ans et plus – ce que beaucoup font par obligation. Comble du paradoxe, la concurrence jouant à plein en Allemagne, le cheminot allemand démissionnera volontiers de la DB pour entrer dans une société privée concurrente, qui se trouvera être une filiale de…Transdev, laquelle est une filiale de la française et publique Caisse des dépôts et consignations. Comme quoi, à l’international, le service public français, libre de ses mouvements, parvient donc à être plus compétitif que le concurrent allemand.

Le cheminot français a certes un salaire plus faible, surtout s’il est sédentaire, et ne jouit pas des avantages exorbitants que certains auteurs de « fake news » se font plaisir à inventer. Mais sa pension est beaucoup plus élevée, et il peut prendre sa retraite, s’il ne veut pas subir de décote, en moyenne à 53,7 ans pour les roulants, et 58 ans pour les sédentaires – survivance du temps des locomotives à charbon. Ce qui fait soupirer d’envie son collègue allemand, contraint de longtemps cumuler retraite et emploi, ainsi d’ailleurs que ceux des autres pays comparables.

La situation du retraité anglais est pire que celle du retraité allemand. Il perçoit une retraite d’Etat inférieure à 200 euros par semaine, et ce que veut bien lui accorder le système complémentaire que son employeur doit légalement prévoir mais – horresco referens – choisit librement. L’âge de la retraite est 65 ans. En Belgique, le premier pilier est une retraite publique, qui couvre 60% seulement du salaire, et n’est disponible à temps plein qu’à 65 ans (66 ans en 2025 et 67 ans en 2030) après 45 années de cotisations (43 en France). Il y a un second pilier, qui est assuré – re-horresco referens – par des fonds de pension, comme d’ailleurs aux Pays-Bas, où ce second pilier assure jusqu’à 32% du montant total des retraites.

Que dire du modèle suédois avec sa retraite par points, dont Emmanuel Macron, depuis sa campagne présidentielle de 2017, s’est vanté de s’inspirer ? Mauvaise pioche, qui a permis au leader de la CGT de prendre le chef de l’Etat à revers, en faisant remarquer que les retraites sont particulièrement faibles en Suède, que les retraités pauvres sont pratiquement le double de ce qu’ils sont en France, et, un comble, que cela est dû à la retraite à points qui n’assure aucune certitude quant à la valeur du point. Donc, partout ailleurs, les retraites sont moins généreuses qu’en France, et en particulier celles des cheminots.

Un statut des cheminots né… en 1850 !

Avant de s’étonner de l’ampleur des manifestations s’opposant à une remise à plat des privilèges des régimes spéciaux, inconnus dans les autres pays, il faut peut-être se demander comment ils ont pu naître et croître en France. Il faut remonter à 1850, au début des chemins de fer, lorsque leur développement a été confié à des compagnies privées sous concession de l’Etat. En 1847, les compagnies sont en difficulté, mais elles veulent s’attacher les services des cheminots, qui vivent un métier difficile et très éprouvant. C’est à la Compagnie du Nord, contrôlée par Rothschild, que l’âge de la retraite du mécanicien sera généreusement fixé à 50 ans, plus tardivement dans les autres compagnies. Il faut bien entendu rappeler qu’à l’époque l’espérance de vie à la naissance n’excédait pas 40 ans, contre plus de 80 ans maintenant. Servitude, grandeur et noblesse du Rail, un monde corporatiste privilégié et refermé sur lui-même, naît à cette époque.

Le statut de 1909 consacrera les avantages des cheminots, et sera imposé par l’Etat en 1920 à toutes les compagnies de chemins de fer, encore privées à l’époque, sauf une. La SNCF, société d’économie mixte possédée à 51% par l’Etat, naît en 1938 avec la reprise des concessions privées, et, bien entendu, le statut de 1920 survit avec ses avantages : emploi garanti à vie, régime spécial de retraite et tous les autres avantages qui sont encore accordés au personnel aujourd’hui.

Un corporatisme aveugle de rentiers qui nous envoie dans le mur

Cet historique montre le degré de corporatisme exacerbé du métier de cheminot, corporatisme datant de 170 ans. On remarquera aussi que ce sont les roulants, et particulièrement les conducteurs, qui fournissent les plus gros bataillons de grévistes : lundi, 77% des conducteurs contre 13% du personnel SNCF dans son ensemble, mardi, respectivement 77% et 25%. Les roulants sont évidemment les plus privilégiés.

On constate donc que plus le régime est ancien, plus les avantages sont exorbitants et injustifiés, et plus ils sont injustifiés plus la menace de leur suppression suscite d’opposition. Il est quand même extraordinaire de constater que les cheminots français, pour conserver leur rente, se refusent à prendre en considération une évolution sur plus d’un siècle et demi des conditions du métier ainsi que de l’espérance de vie, qui a doublé pendant cette période. De même, ils se refusent à se comparer aux cheminots des autres pays, qui doivent attendre l’âge de 65 ans pour obtenir une retraite à taux plein – d’un montant bien plus faible.

Si le gouvernement ne parvient pas à imposer l’abolition des privilèges indus des cheminots, qui sont en pointe dans la contestation la plus injustifiée qui soit, la France aura perdu pour longtemps l’occasion de régler le problème fondamental des retraites, causé par la déformation de la pyramide des âges, à savoir celui de l’allongement de la durée de vie. Les « rentiers du statut » auront gagné, et nous irons tous dans le mur encore plus sûrement.

Dernière minute

Le Premier ministre a maintenu le programme d’alignement des régimes spéciaux sur le régime universel. Bien. Mais il a renvoyé aux partenaires sociaux le soin de négocier sur la période de transition, tout en fixant les principes. Même tactique que celle suivie pour l’assurance chômage, qui n’avait pas abouti, et agacé lesdits partenaires.
Autre principe, l’âge pivot qui passe à 64 ans. Le paramétrique additionné au systémique. Nécessaire et courageux, mais déterre la hache de guerre avec la CFDT.
Le gouvernement joue son va-tout. Tout dépendra désormais du succès de l’inévitable continuation des grèves et manifestations, et de l’arbitrage des Français.
Epreuve de force, il y en a marre de chercher un consensus inatteignable avec les syndicats. On peut se prêter à rêver d’une solution gaullienne : référendum, suivi en cas d’échec d’une démission du Président, qui cette fois se représenterait. Une folie ?

 

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3 commentaires

Gérard D décembre 11, 2019 - 5:17 pm

Payer pour les français
Très bon papier !
Et comment imagine-t-on dans ce contexte social pouvoir rester dans l’euro ?
C’est économiquement et financièrement possible tant que les travailleurs des autres pays seront prêts à payer pour les français.
Combien de temps encore?

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YVES BUCHSENSCHUTZ décembre 12, 2019 - 11:49 am

La solution : La Retraite à Durée Déterminée (RDD)
Nos Chers (Oh combien) Cheminots et RATPistes veulent tout conserver de leur conditions historiques et le maintien intégral de leur statut. Celui-ci comprenait des droits mais aussi des devoirs : par exemple le fait de décéder à 65 ans. (65-52) = 13 ans de droit à la retraite. Maintenons leurs avantages et limitons la durée de versement à 13 ans. Ensuite, qu’ils se débrouillent : la CGT n’a qu’a chercher une solution complémentaire, interne à leur régime. Et si cela ne suffit pas on peut encore réintroduire des machines à vapeur ou des poinçonneurs de tickets.
La Retraite à Durée Limitée vient de naître. Nous ne voulons plus payer pour des gens qui, en plus, nous empoisonnent l’existence régulièrement.

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gourio décembre 13, 2019 - 2:16 pm

Les staliniens au pouvoir !!!
Incontestable votre démonstration sur l’absence de justification des régimes spéciaux aujourd’hui et à l’avenir. La proposition du gouvernement est bien généreuse de maintenir cet avantage, sans justification, jusqu’à la génération 83 si j’ai bien compris. Mais on ne va pas chipoter.
L’enjeu c’est aujourd’hui de libérer la France de l’emprise des stalininiens à la tête de la CGT. J’ai eu le privilège de constater que ce qualificatif d’un autre âge leur paraissait correct à eux aussi ! Ce qui compte c’est la lutte finale.
Ils ont le droit de le penser mais pas de nous étrangler.
Ils n’ont droit qu’aux poubelles de l’Histoire et trop de Français les écoutent ! Que dis je les approuvent ! Vive l’Angleterre qui elle au moins se débarrasse de Corbyn !

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