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Air France victime de l’étatisme français

par Hervé Gourio
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L’histoire d’Air France montre que l’étatisme a joué un plus grand rôle dans ses malheurs que les conflits sociaux.

A lire la presse de ces derniers jours, la cause est entendue : le personnel myope et rapace de la compagnie Air France refuse une augmentation de 2% et exige 6%. Il fait passer son intérêt avant celui de l’entreprise que, de ce fait, il condamne à disparaître tôt ou tard. C’est une reprise du discours du PDG démissionnaire, qui est repris par des journalistes faciles à influencer par la calinothérapie toujours efficace des entreprises de tourisme.

D’autres prennent un angle politique pour voir dans le résultat du référendum le rejet d’un patron, il est vrai peu convaincant. Cette analyse est tout à fait justifiée par l’idée saugrenue de Jean-Marc Janaillac de mettre en jeu son mandat, qui plus est entre les mains de la partie française des salariés du groupe franco-néerlandais qu’il préside ! On fait comme si KLM n’existait pas. En tout cas, les Hollandais n’ont pas voix au chapitre.
A ce stade, il faut pousser l’analyse un cran plus loin. Qui est responsable de ce recrutement ? Et cette erreur est-elle exceptionnelle après des lustres de choix avisés pour diriger Air France ?

Apprécions la difficulté de la tâche avant de prononcer un jugement prévisible.
Le marché mondial du transport aérien est en forte croissance. En témoigne sans équivoque la production d’Airbus et de Boeing en forte expansion. Le marché européen est moins rapide que les marchés asiatique et américain. Surtout, la part des compagnies aériennes traditionnelles a été fortement entamée, d’une part par les low cost, et d’autre part par des compagnies nouvelles exploitant des avantages salariaux ou bien des plateformes de correspondance (hubs) qui améliorent l’économie de leurs réseaux (meilleur remplissage à fréquence identique). Le maintien de la compétitivité impose donc de se battre sur plusieurs fronts (productivité, prix, développement géographique, alliances, etc.).
Défi impressionnant dans une industrie complexe, à la fois exigeante en investissements et nécessitant des effectifs nombreux et bien formés. Bien sûr les pilotes arc-boutés sur leurs avantages acquis ne facilitent pas le changement. Mais pas de particularité française ici ! Ils sont une partie du problème et, dans tous les pays, il a fallu passer un accord avec ces salariés très difficiles.

Face à ce challenge, on peut dire qu’aujourd’hui Air France a eu tout faux sauf à de rares moments. Essentiellement en raison d’un nombrilisme franco-centrique incroyable. Nous aurons peut-être l’occasion de détailler une autre fois bien des exemples, dans tous les domaines, des handicaps infligés à cette entreprise pour « mériter » son titre de « compagnie nationale », dont l’efficacité commerciale reste à démontrer sur les clients étrangers et sur beaucoup de clients français. Titre seulement justifié administrativement et dans un cercle de hauts fonctionnaires narcissiques.

Contentons-nous aujourd’hui de répondre à la question initiale sur la pertinence des choix du patron et la compétence du recruteur.

Les faits parlent d’eux-mêmes. Le poste a été pendant longtemps un hochet pour récompenser les bons serviteurs des présidents de la République. De Gaulle a nommé Galichon. Marceau Long, secrétaire général du gouvernement et fin juriste, y fut propulsé par Mitterrand. Chirac y consola son ami proche Jacques Friedman de son expulsion de l’UAP par Claude Bébéar. La tradition de la décision finale par le chef de l’État s’est poursuivie jusqu’à Jean-Marc Janaillac que rien dans sa carrière ne préparait à ce niveau de responsabilité, sauf une réputation de pacificateur social (on a vu… !) et son appartenance à la promotion Voltaire, disent les journaux mal intentionnés.
Les cas de Bernard Attali et d’Alexandre de Juniac sont-ils moins tranchés ? Mais leurs sponsors à cette occasion ont certainement fait jouer des relations avec le président qui pouvaient faire oublier (bien peu de temps cependant) leur ignorance en matière de transport aérien et leur inexpérience en matière de gestion d’entreprise opérant sur un marché concurrentiel.

La faute principale incombe donc bien au recruteur. C’est l’État par son intervention incongrue qui choisit pour diriger une compagnie aérienne des personnalités qui ont au mieux montré des talents administratifs mais n’ont pas la connaissance suffisante d’un marché mondial complexe. Forcément sans vision, dépendants des consultants et experts en tous genres, ils sont condamnés au rôle de suiveur plus ou moins prompt. L’État est bien le principal responsable des malheurs d’Air France.
Certes il y a eu une heureuse exception après la crise désastreuse de 92. Christian Blanc puis Jean-Cyril Spinetta ont remis la compagnie sur ses rails. L’un par une capacité de leadership peu courante, l’autre en s’appliquant à trouver des solutions vraiment internationales et à les mettre en application en négociant inlassablement avec les syndicats. Après la fusion avec KLM on a pu penser qu’Air France était guéri de son narcissisme mortifère. Malheureusement, au départ de Jean-Cyril Spinetta le relai n’a pas été pris.

Comment rompre avec cette pathologie ? Va-t-on encore sortir de derrière les fagots un brillant haut fonctionnaire adoubé par le président de la République ? La personnalité disruptive de Macron peut certes faire croire que cela marchera cette fois comme cela a pu marcher avec Spinetta. Les envolées du ministre Le Maire – actionnaire à 15 % – font craindre le pire. Un communiqué lapidaire eût suffi : « L’État n’est pas gestionnaire d’Air France ni en droit, ni de fait ».
En vérité le moment est venu d’atterrir. Deux solutions sont imaginables.
Le bon sens est d’aller chercher chez KLM les talents opérationnels qu’il faut combiner avec de bons connaisseurs des personnels d’Air France. Des deux marques il faut privilégier celle qui réussit le mieux.
Air France doit devenir plus hollandais.
Autre solution : recruter un dirigeant qui a fait ses preuves dans une compagnie qui réussit. Pourquoi pas un étranger tout comme la Bank of England est allée chercher un Canadien dernièrement ? Si on ne peut pas convaincre un Français qui a réussi ailleurs – il en existe – de revenir au bercail. Avec une mission claire : assurer la viabilité du groupe Air France-KLM qu’il soit indépendant ou intégré dans un réseau mondial puissant.

 

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